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Page:Daudet - Jack, II.djvu/367

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laissant d’Argenton stupéfait et furieux, convaincu que c’était un tour que son ennemi lui jouait.

Au moment où la porteuse de pains avait quitté l’hôpital, deux personnes y entraient, pressées, inquiètes, dans le tumulte de la foule qui commençait à se retirer : une jeune fille et un vieillard.

— Où est-il ?… où est-il ?…

Une figure divine se pencha sur le lit de Jack :

— Jack, c’est moi… c’est Cécile.

C’est elle, c’est bien elle. Voilà son visage pur, pâli par les veilles et les larmes ; et cette main qu’il tient dans la sienne, c’est cette petite main bénie qui lui a fait tant de bien jadis, et qui pourtant l’a conduit un peu où il est ; car le destin a parfois de ces cruautés de vous frapper de loin par les meilleurs, par les plus chers. Le malade ouvre et ferme les yeux pour s’assurer qu’il ne rêve pas. Cécile est toujours là. Il entend sa voix d’or. Elle lui parle, lui demande pardon, explique pourquoi elle lui a fait tant de peine… Ah ! si elle avait pu se douter que leurs destinées étaient si pareilles… À mesure qu’elle parlait, un grand calme descendait dans le cœur de Jack, succédant à la colère, à l’amertume, à la souffrance.

— Ainsi, vous m’aimez toujours, bien sûr ?

— Je n’ai jamais aimé que vous, Jack… Je n’aimerai jamais que vous.

Chuchoté dans l’alcôve banale, qui avait déjà vu tant de morts lugubres, ce mot « Aimer » prenait une