Page:Daudet - Jack, II.djvu/97

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Cécile, et tous les ans au premier janvier, il leur écrit une longue lettre. Eh bien, voici deux fois que ses lettres restent sans réponse. Pourquoi ? Qu’a-t-il pu leur faire encore, à ceux-là ?

Une seule pensée soutient notre ami Jack dans les déconvenues de sa triste destinée : « Gagne ta vie… Ta mère aura besoin de toi. » Mais, hélas ! les salaires sont proportionnés à la valeur de l’ouvrage, et non pas à la bonne volonté de l’ouvrier. Vouloir n’est rien, c’est pouvoir qu’il faudrait. Et Jack ne peut pas. Malgré les prédictions de Labassindre, il ne sera jamais qu’un choufliqueur dans sa partie. Il n’a pas le « don », qu’est-ce que vous voulez ? Et maintenant le voilà à dix-sept ans, son apprentissage fini, arrivant à peine à gagner ses trois francs par jour. Avec ces trois francs, il faut qu’il paye sa chambre, qu’il se nourrisse, qu’il s’habille, c’est-à-dire qu’il remplace son bourgeron et sa cotte quand il n’y a plus moyen de les porter. Le beau métier qu’on lui a mis là dans les mains ! Et comment ferait-il si sa mère lui écrivait : « J’arrive… Je viens vivre avec toi… »

— Vois-tu, petit gas, dit le père Roudic qui a gardé à l’apprenti ce nom de « petit gas, » bien que celui-ci le dépasse de toute la tête, tes parents ont eu tort de ne pas m’écouter, tu n’es pas à ton affaire ici. Tu n’auras jamais le sentiment de la lime, et nous serons obligés de te laisser tout le temps aux gros ouvrages où il n’y a pas sa vie à gagner. À ta place, j’aimerais mieux rou-