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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/273

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n’ai pas une minute… Rendez-vous à la maison à cinq heures.

Je le regardai descendre la rue Saint-Benoît à grandes enjambées, puis je rentrai dans le restaurant ; mais je ne pus rien manger ni boire, et c’est le penseur qui vida la demi-bordeaux. L’idée que dans quelques heures ma mère Jacques serait loin m’étreignait le cœur. J’avais beau penser à mon livre, aux yeux noirs, rien ne pouvait me distraire de cette pensée que Jacques allait partir et que je resterais seul, tout seul dans Paris, maître de moi-même et responsable de toutes mes actions.

Il me rejoignit à l’heure dite. Quoique très ému lui-même, il affecta jusqu’au dernier moment la plus grande gaieté. Jusqu’au dernier moment aussi il me montra la générosité de son âme et l’ardeur admirable qu’il mettait à m’aimer. Il ne songeait qu’à moi, à mon bien-être, à ma vie. Sous prétexte de faire sa malle, il inspectait mon linge, mes vêtements :

— Tes chemises sont dans ce coin, vois-tu, Daniel… tes mouchoirs à côté, derrière les cravates.

Comme je lui disais :

— Ce n’est pas ta malle que tu fais, Jacques ; c’est mon armoire…

Armoire et malle, quand tout fut prêt, on envoya chercher une voiture, et nous partîmes pour la gare. En route, Jacques me faisait ses recommandations. Il y en avait de tout genre :

— Écris-moi souvent…. Tous les articles qui paraîtront sur ton volume, envoie-les-moi, surtout