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Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/13

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Cette nuit, cette matinée d’attente avaient été horribles.

Elle sortit, et là, en plein air, à la vue de tous les passants qui pouvaient se rendre compte de sa surprise, de son trouble, de son bouleversement, Malcie lut les lignes de Maurice d’abord, puis celles de la double enveloppe.

Une minute, elle resta les yeux fixés sur la chaussée, comme clouée, ne voyant rien, n’entendant rien, la pensée seule agissant.

Que faire ?

Elle regarda sa montre.

Il n’y avait pas de temps à perdre.

Elle eut un geste.

La décision était prise.

Non, plus d’attente.

Quel qu’il fût, ce roman, elle le connaîtrait. Tant pis si elle mettait le pied dans un chemin couvert d’épines.

Elle voulait savoir !

Un fiacre passait.

Il s’arrêta.

Elle se jeta dedans pour la rue Notre-Dame-des-Champs.

Là-bas de l’autre côté, à l’angle de la rue du Four, un officier immobile la regardait.

C’était le capitaine Jean d’Anicet !

 

En quelques minutes le fiacre arriva à l’adresse donnée par Malcie.

Par deux fois, celle-ci s’assura que le cocher ne s’était pas trompé.

Les chiffres blancs sur la plaque bleue — au-dessus de la porte — correspondaient à ceux de la lettre.

— Attendez-moi, dit-elle.

Dans le couloir, le tapotement de ses talons se mêlait au frou-frou d’un costume en drap noir d’une élégante simplicité.

Elle traversa la cour et lut, droit devant elle sur une porte vitrée, le mot : concierge.

Une femme la regardait, surprise. Elles étaient rares ou pour parler plus exactement, madame Barbillon n’en avait jamais vu des dames aussi cossues s’arrêter à sa loge, depuis sept ans qu’elle était gardienne de la maison.

Sous le regard inquisiteur, Malcie souleva le loquet.

— Est-ce ici, madame, qu’habite le peintre Roger ?

La concierge se leva comme un ressort :

— Jésus-Dieu !… Vous venez pour monsieur Roger ?… Oui, madame, c’est ici. Même qu’il vient de lui en arriver une à ce pauvre jeune homme !… Je descends de chez lui, il n’y a pas une demi-heure. Je le crois bien malade.

— Vraiment ?

— Fort heureux qu’il n’y ait pas déjà laissé sa peau… Tous les journaux en parlent ce matin… de l’accident d’Ouest-Ceinture…

— Pourrais-je le voir ?

— Bien entendu. Un jeune homme si gentil !… si bien élevé que jamais ça ne dit une parole plus haute que l’autre !… Et honnête ! Ah ! oui, honnête, pour sûr ! Sans restriction !… Y a des choses, vous savez ! Puis, enfin, quoi, quand on a vingt-six ans, on a vingt-six ans, parbleu !… Il y en a d’autres jeunes gens dans la maison, et dame, quand ils ont bien travaillé, ils se divertissent un peu… Ils rigolent… reçoivent de la jeunesse…

…Chez M. Roger ? Je n’en ai jamais vu, madame.

Malcie écoutait avec satisfaction, mais elle trouvait la tirade un peu longue.

— Voudriez-vous m’accompagner chez lui ?

— Comment donc ! mais, certainement ! Un si brave enfant ! Je le regarde quasiment comme si c’était mon fils.

— A-t-il de la famille à Paris.

Mme Barbillon était sortie de sa loge.

Elle en avait fermé la porte à clef.

D’une voix basse, confidentielle, elle répondit, s’arrêtant au bas des marches :

— Ça, madame, je ne pourrais pas vous le dire. Pour ces questions de parenté, je