Aller au contenu

Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je serai terrible !… oui terrible !

On le regarda.

Il n’y prit pas garde.

Il étouffait : il prit son képi à la main.

La marche ne le calma pas.

Plus il y pensait, plus il s’exaltait.

Était-ce vraiment possible ?… Oui, possible ?…

Il s’arrêta net place de la Concorde, et là, sous le choc d’une des multiples pensées qui le bouleversaient il se dit :

— Voyons, si c’est vrai, eh bien, oui, si
« Soyez bénie… »
c’était vrai, serais-je donc réellement moins fort qu’elle ?

…Elle aurait un amant et saurait jouer, calme, sereine, ce jeu ignoble ?

…Elle aurait des rendez-vous et en sortirait pour reprendre, tranquille et souriante, sa place dans la famille ?…

…Et moi, je n’aurais pas la confiance de quelques jours d’espionnage ?… de quelques jours d’une surveillance active ?…

…Allons donc !…

…Les d’Anicet n’ont jamais capitulé.

…Ils ont toujours vaincu.

…Et moi, Jean, le capitaine Jean, je serais moins habile qu’une femme !

Le sourire qui erra sous la moustache noire comme du jais, sourire qu’accompagna un signe de tête impératif, indiqua une fermeté de résolution que rien ne ferait fléchir.

Près d’arriver, il ralentit son pas, s’efforça de reprendre une allure calme, une physionomie tranquille.

À aucun prix, il ne fallait pas, chez lui, qu’on surprit la souffrance endurée, la guerre sourdement ouverte.

Il essaya de se distraire avec les bibelots des devantures.

Il écouta, avec l’apparence d’un homme heureux, les boniments des camelots.

Il se procura des journaux.

Il acheta des fleurs que lui offrit, près de l’Élysée, une marchande au panier, de telle sorte que, lorsqu’il arriva rue d’Aguesseau, aucune trace de la lutte n’existait.

C’était un homme en pleine possession de soi, un homme résolu à observer habilement, patiemment, afin d’aller ensuite plus sûrement à l’attaque.

Le dîner réunit à la table de famille toute la maison, c’est-à-dire le jeune ménage d’Anicet, puis M. et Mme d’Hallon, père et mère de la jeune femme.

Les premiers habitaient le second étage de l’hôtel, tandis que les parents avaient pris le premier.

C’était l’unique changement que le mariage de leur fille unique avait amené dans la vie commune.

Les repas de midi et du soir se prenaient toujours chez les parents à la satisfaction de tous.

La conversation ne chôma pas.

De temps en temps, Jean jetait un regard furtif à Malcie.

Aucune gêne.

Aucun de ces malaises que subit la femme qui n’est pas complètement pervertie en face de celui qu’elle trompe.