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Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/17

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loter, puisqu’on ne lui demande que cela.

Il sourit.

— Allons au revoir.

— Au revoir, madame, et… à bientôt.

Il souleva sa tête du traversin pour la regarder s’éloigner, pour ne perdre aucun de ses mouvements, pour vivre d’elle jusqu’à son retour.

Dans l’entrebâillement de la porte, elle se retourna encore, sourit et dit :

— Je serai très sévère… J’exigerai que tout ce que j’ai demandé soit accompli.

Les yeux pleins d’attendrissement, d’affection, aussi fixés sur elle comme sur le phare qu’entrevoit le marin qui se débat dans les flots, il murmura :

— Vous en aurez le droit… mais je serai obéissant. Il n’y a pas un mot, pas une parole que je n’oublierai moi non plus.

Dehors, Mme d’Anicet retrouva le cocher qui commençait à se demander si la belle dame ne lui avait pas faussé la politesse.

En un quart d’heure, Malcie arriva rue d’Aguesseau.


III

étincelle sous la cendre


Lorsque le capitaine Jean s’était trouvé rue de Rennes — angle de la rue du Four — il avait été surpris d’apercevoir sa femme sur le trottoir d’en face.

D’habitude, celle-ci, chaque matin, parlait de ses courses.

Lorsqu’elles concordaient avec celles de son mari, ils faisaient chemin commun.

Ce jour-là, Malcie n’avait rien dit.

Sans le trouble qui, pendant la lecture des lettres avait envahi la jeune femme, Jean n’aurait eu aucun frisson de doute, aucune arrière-pensée.

Mais cet émoi, cette lutte d’une minute pour prendre une décision, le geste résolu, tout cela l’avait aiguillonné.

Le rouge de la jalousie le congestionna.

Quelle était donc cette prose qui lui occasionnait tant d’émotions ? Cette prose lue sur un trottoir devant un bureau ?…

Une lettre retirée à la poste ?

Le flot pourpre s’accentua encore, rivalisant avec l’uniforme.

Il se toucha le front.

Non, cela n’était pas possible.

Il divaguait.

L’étrangeté, l’imprévu, attira encore sa pensée.

Une exclamation sur ses lèvres ne put sortir sous la contraction des nerfs.

Il fit un pas pour rejoindre sa femme.

Un encombrement ralentit sa marche.

Il suffit, cet encombrement pour donner le temps à Malcie de se jeter dans le fiacre qui, entre eux, mettait la distance.

Il suffit, pour éviter les paroles acerbes, le scandale, la discussion que rien n’efface.

Le capitaine Jean retrouva un peu de calme. Au lieu de regretter ce qu’il aurait pu appeler une malchance, il se dit qu’au contraire, le hasard, le servait.

Mais le dard qui l’avait atteint, en plein bonheur, dans la lune de miel, qui, depuis cinq ans, n’avait pas eu encore une ombre, était entré trop profondément pour que le mal se cicatrisât facilement.

Sur le coup, dans une minute folle, il avait vu rouge.

Mais, habituellement prudent, réfléchit, ne s’emballant pas, la nature reprit le dessus et son plan fut bientôt tiré.

Il pouvait se tromper.

Il le souhaitait même.

Il observerait… et sa surveillance serait telle qu’il défiait d’avance, l’intrigue la mieux ourdie de lui échapper.

Il abandonna sa course de l’École militaire, fit volte-face et revint du côté de l’eau par la rue des Saint-Pères.

Il réfléchissait.

Toutes les suppositions lui vinrent.

Dans une rage folle, dans un sentiment jaloux qui soulevait tout son être, il crispait les poings et, les yeux à fleur de tête, sans se soucier des passants, il répéta par deux fois :