Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/38

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moi sans savoir qui j’étais. Ce que vous savez ou du moins le roman que je vous ai annoncé, vous ferait faire pires suppositions que la réalité.

…Inutile !

…Peut-être, par mon entrée en matières un peu trop brutale, ai-je lancé votre imagination à côté des choses qui sont, celles-ci, indéniables. J’ai, en mains, des preuves.

La sérénité de la jeune femme disparut.

Son visage devint très sérieux.

— Affirmer que je n’aie fait aucune supposition, serait mentir. Dire qu’autour de moi, depuis votre première lettre, je n’ai pas cherché à voir des choses que je n’avais vues ; dire que je n’ai ni observé, ni étudié, ne serait pas la vérité. J’avoue cependant que je n’ai rien découvert et qu’il me tarde de savoir.

— Cela ne me surprend pas. Les natures droites, loyales ne croient pas aux noirceurs.

— Eh bien, dit résolument Malcie, puisque vous êtes rétabli et que vous avez décidé de parler, expliquez-vous. Je préfère cela.

— Moi aussi, madame. Seulement, quoique je dise, et de quelque façon que je m’y prenne pour la révélation, je ne puis empêcher que vous souffriez. C’est ce que j’aurais voulu éviter. D’avance, excusez-moi.

Malcie eut un mouvement nerveux.

— Vous me l’avez déjà donné à entendre. Trêve d’explications superflues, je vous en prie ; plus tôt vous aurez dit, mieux cela vaudra.

— Je le sais et cependant je me demande encore si je ne ferais pas mieux de me taire.

…Ce n’est pas à vous que j’aurais dû écrire, c’est à une autre. Il est vrai qu’en agissant ainsi, je pensais l’atteindre, elle, plus profondément. C’est une canaillerie dont je me repens à cause de vous.

Malcie se redressa.

Dans son œil bleu passa une flamme de volonté. Elle releva la tête hardiment et d’un air de reine :

— Parlez, c’est moi maintenant, qui exige. Qu’avez-vous à m’apprendre ?

— Il faut que je remonte où nous étions restés le jour où je vous ai entretenue de moi.

— Je me souviens. Nous avons parlé de votre mère. Je me suis offerte comme intermédiaire. Vous avez dû y penser souvent. Acceptez-vous ?

Il détourna les yeux.

Était-ce possible que rien ne lui fît entrevoir la réalité.

La vertu est-elle donc si profondément ancrée en certaines natures qu’elles ne puissent concevoir le dessous fangeux
« Comment voulez-vous que moi, un garçon sans famille, je demande d’entrer dans une famille honnête ? »
de l’existence, même lorsqu’on leur met doigt dessus ?

Roger répondit :

— Vous jugerez vous-même. Il faut d’abord que vous sachiez qu’elle est riche, que rien ne lui manque, qu’elle est entourée de serviteurs empressés.

— Oui.

— Est-elle mariée ?

Malcie balbutia :

— C’est peut-être sa situation de femme qui l’a empêchée de s’occuper de vous comme elle l’aurait dû.

Roger ricana :