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Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/39

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— Sa situation d’épouse ?

— Oh ! je ne l’excuse pas. Évidemment si elle n’est privée de rien, c’est un crime de vous avoir abandonné.

…N’a-t-elle vraiment jamais fait aucune démarche en votre faveur ?

— Je serai franc, répondit le jeune homme.

…Je ne l’accable pas pour le plaisir de l’accabler.

…Je ne le sais pas. Ce qui me le fait supposer, c’est qu’Adrienne ne m’a jamais parlé de ma mère.

…Recevait-elle pour m’élever quelques subsides ? Je l’ignore, mais je ne le crois pas ; parce qu’après sa mort rien n’est jamais arrivé, parce que jamais aucune femme ne s’est occupée de moi, parce que je n’ai jamais reçu de caresses.

…Si ma mère m’avait embrassé ? Oh ! j’aurais compris !… J’aurais deviné !…

…Malheureusement, Adrienne a succombé en quelques minutes à une congestion. Elle est partie sans que je puisse éclaircir le mystère.

— De son mariage, votre mère a-t-elle des enfants ?

Il murmura dans un souffle :

— Oui.

Malcie balbutia :

— Si personne n’a jamais essayé de vous rapprocher, peut-être croit-elle… que…

— …je suis mort ?…

…ou que vous avez fait votre chemin et que, vous êtes heureux.

Brusquement, Roger sortit de son veston une enveloppe jaunie.

Dans cette enveloppe, il y avait une lettre qui avait dû être lue souvent. Les froissures du papier l’indiquaient.

— Vous m’en avez prié, et, vous l’avez dit : le plus court sera le meilleur.

…Je souffre autant que vous.

…Veuillez écouter ces lignes écrites par mon père :

« Mon cher enfant,

« Sur le point d’entreprendre un long voyage dont je ne reviendrai peut-être pas, je tiens à te laisser quelques lignes.

« Si tu es heureux, suis ton chemin et ne t’inquiète de personne.

« Mais, si tu souffres un jour, si tu as à subir un de ces coups de la Fatalité qu’on ne peut prévoir, n’hésite pas, va frapper à la porte de la femme dont je te mets le nom et l’adresse au bas de cette lettre.

« Demande-lui si elle a connu Jacques d’Anvertout, dans quelles conditions, et ce qui est résulté de leurs relations.

« Attends sa réponse.

« Demande-lui ensuite pourquoi elle n’a pas épousé ce même Jacques d’Anvertout.

« À cette dernière question, cette femme te répondra, s’il lui est resté un peu de franchise :

« — Parce qu’il était pauvre.

« Demande-lui encore comment elle s’est acquittée de ses devoirs de mère et de quelle somme elle a gorgée une femme masquée qui, un soir, à minuit est venue te porter chez moi.

« Je te laisse libre d’agir envers elle comme bon te semblera.

« Cette femme-là, c’est celle qui t’a donné le jour.

« J’étais sans fortune, c’est vrai, mais lorsque j’ai su que tu allais naître, je lui ai offert de légitimer ta naissance par un mariage. Nous serions partis en Afrique. J’avais des relations. Je serais arrivé à la fortune. Lorsqu’un homme se sent encouragé, secondé, soutenu, il va loin.

« J’ai été évincé par un concurrent qui apportait ce que je n’avais, moi, qu’en espérance.

« Je te confie à une brave femme, Adrienne Montaut.

« Elle remplacera celle qui t’a renié, celle qui t’a abandonné.

« Elle me l’a juré.

Jacques d’Anvertout.

Roger était livide.

Sur ses tempes, quelques gouttes de sueur perlaient.