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Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/40

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— Vous n’auriez pas dû vous imposer le supplice de cette lecture, balbutia Malcie, blanche comme une morte. Il fallait me remettre cette lettre. J’en aurais pris connaissance sans vous…

…Voulez-vous me la donner ?

…Je verrai le nom, l’adresse. J’essaierai une démarche, je vous le promets.

— J’ai tant fait, murmura-t-il, que je puis maintenant aller au bout…

…Dans vos relations de famille — elles sont si nombreuses — n’avez-vous jamais entendu ce nom d’Anvertout.

— Non.

La femme du capitaine Jean redit, à haute voix, la pensée chercheuse : « Jacques d’Anvertout ! »

Puis :

— Jamais, où du moins je ne me souviens pas

Roger n’avait pas besoin pour se le rappeler, de le lire, ce nom, répété dans ses rêves, dans ses cauchemars, dans ses révoltes. Il le voyait sans cesse devant lui, en lettres de feu. Mais, comme pour cacher sa dernière souffrance, il exhaussa la feuille et acheva d’une voix rauque, étranglée :

— Ma mère se nommait Angèle Landry. Elle est la femme légitime de Maxime d’Hallon.

Malcie se leva.

Ses yeux lancèrent des flammes.

Fût-ce un cri, fût-ce un râle qui tomba de ses lèvres,

Roger ne sut pas, mais il fut terrifié lorsqu’il entendit d’une voix de folle, avec des yeux agrandis et un geste de mépris :

— Vous mentez !…

Elle répéta encore avec une expression hagarde :

— Vous mentez !… et cet homme, cet homme qui a écrit cette lettre, lui aussi a menti ?…

Roger s’attendait à un choc.

Pas un instant, l’idée ne lui était venue d’un doute sur sa parole, sur le récit du mort.

Ses lèvres s’agitèrent.

Il voulut parler, mais il se tut devant la douleur affolée de cette femme qui avait crié sa souffrance dans le spasme qui lui était monté aux lèvres.

Il attendit et contempla la chère créature de beauté.

Sa souffrance était trop visible pour qu’il ne s’apitoyât pas.

Malcie s’affaissa sur sa chaise et laissa tomber ses bras sur la table.

Elle ne pensait.

Son cerveau s’y refusait.

Un mot seul se précisait dans son esprit :

« Sa mère ! »

Comme une démente, elle répéta, le regardant, hébétée :

« Ma mère ? ma mère ? »

Son œil était fixe, sa pâleur extrême.

Allait-elle s’évanouir.

D’un bond Roger se leva. Il s’agenouilla devant la pauvre femme et timide, prit une de ses mains.

— Pardonnez-moi le mal que je vous ai fait.

…Je le pressentais.

…Vous avez insisté.

…Pouvais-je reculer ?

…N’ai-je pas fait tout ce qui était en mon pouvoir pour vous donner à comprendre…

…Chère, chère créature, pardonner-moi de vous faire souffrir.

…De grâce, dites que vous ne m’en voulez pas.

…Dites-le. Votre silence me torturerait.

Elle porta la main à son front et répéta encore :

— Ma mère ! ma mère ! mais alors ?

Leurs yeux se rencontrèrent.

Roger comprit.

Il étreignit la main qu’il retenait emprisonnée et conclut :

— Oui, devant la loi, je ne suis que Roger. Mais, par le sang, je suis… votre frère !…

— Est-ce que je ne rêve pas ?

Non. Libre à vous de continuer maintenant l’œuvre impie de celle qui est Mme