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Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/44

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J’avoue que je n’aime pas négliger certaines obligations. Mon père est comme moi.

— Votre père exagère. Il en est ridicule, le cher homme.

— Vous trouvez ?

— Absolument.

— Dites-moi, mère, quel âge aviez-vous lorsque vous vous êtes mariée ?

— Quelle idée !… J’avais vingt-deux ans.

— C’est à Paris, je crois qu’a eu lieu votre mariage.

— Vous connaissez cette histoire-là de longue date. Oui, à Paris.

— Vous y avez toujours vécu.

— À peu près… en mettant de côté des absences plus ou moins longues occasionnées par des voyages.

— Vous voyagiez beaucoup lorsque vous étiez jeune fille ?

Les deux femmes se regardèrent.

Madame d’Hallon répondit avec une indifférence affectée.

— Oui, assez.

— Où avez-vous fait la connaissance de mon père ?

La mère enleva ses gants.

— Je vous l’ai dit au moins cent fois.

— Oh !

— C’est si vieux !

— Il y a des choses dont on doit toujours se souvenir.

Avec un regard fuyant, la mère répondit d’un ton badin :

— Ma chère, vous êtes insupportable avec vos anciennes histoires. Savez-vous que cela ne rajeunit pas… Je vous ai dit que c’était dans un bal chez les Montord.

— Papa vous a plu tout de suite ?

Mme d’Hallon sourit.

— Il faut croire.

— Était-ce la première demande en mariage que vous receviez ?…

Malcie s’efforça de laisser son regard indifférent.

Dans les yeux de la mère passa une lueur étrange.

— Vous me faites de singulières questions, vraiment.

…Est-ce l’appartement qui vous lance dans l’histoire ancienne ? je vous en prie, tenez-vous en au moderne.

— Ce que je vous demande est tout naturel. Histoire de causer du reste. Jean a été le premier qui a demandé ma main. Je ne m’en cache pas. Je le dirai à mes enfants et à mes petits enfants lorsque je serai grand’mère.

Mme d’Hallon manifesta une gêne qui n’échappa pas à sa fille.

— Vous vous êtes mariée à dix-huit ans, expliqua la première, moi à vingt-deux. C’est l’âge où les soupirants approchent. Si votre père n’a pas été le premier, c’est lui qui a été agréé.

Le ton était aigre-doux.

Après un silence, Malcie ajouta :

— Vous avez été une privilégiée. Vous avez épousé le meilleur des hommes. La maternité ne vous a pas trop éprouvée… Je n’ai jamais eu ni frère, ni sœur, n’est-ce pas ?

L’interrogation qui, dans un autre moment eut passé inaperçue, joua sur les nerfs de Mme d’Hallon.

Jamais sa fille ne l’avait autant questionnée sur le passé. Quelle mouche la piquait. Avait-elle trouvé quelqu’un qui ait fait des révélations ?

Impossible ! Quant à lui, il était mort depuis longtemps, mort dans les colonies.

Morte aussi la sage-femme, qui aurait pu parler.

Que craignait-elle ?

Des paroles en l’air ? Des versions exagérées ?

Quelle est la femme jeune, jolie, qui n’a pas subi de critiques ?

Elle paya d’audace.

Un regard d’acier tomba sur Malcie, puis Mme d’Hallon éclata de rire.

— Mais oui, j’ai été favorisée, comme vous dites, et toujours très heureuse, parce que j’ai toujours su faire la part des choses.