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Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/61

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nées, Raymonde Charbonnier, Émilie Blégny.

— Tu dis ?

— Émilie Blégny.

— Où habite cette jeune fille ?

— Rue d’Amsterdam.

— Est-ce que le père n’est pas au ministère de la marine ?

— Je crois que si.

— N’a-t-elle pas une sœur plus jeune qu’elle et un frère plus âgé ?… un jeune ingénieur qui sort de l’École agronomique ?

— Je ne sais pas. Il me semble pourtant que oui. Comment se fait-il que tu sois si bien renseignée sur la famille d’Émilie.

— Ma chérie, je n’ai pas l’intention de t’en faire un mystère. Pendant ton absence j’ai reçu une visite.

— Qui donc ?

Mme Moutier.

— Il y a des mois et des mois que nous ne l’avons vue.

— Elle demeure loin. Devine le but de sa visite ?

— Mais… nous voir !

— C’est plus important que cela.

La mère souriait.

Berthe cherchait à comprendre.

— Je ne sais pas.

— Elle est venue tout simplement demander ta main.

— Tu dis ?

— Que Mme Moutier est venue faire une proposition de mariage.

Berthe était suffoquée.

Un serrement de cœur l’empêcha de parler.

— On dirait que cela ne te sourit pas.

— Je ne m’y attendais pas, voilà tout.

— Comme tu dis cela, Berthe !

La mère se troubla.

Le cœur de sa fille avait-il parlé ?

Impossible. Dans leurs relations, il n’y avait aucun jeune homme qui pût lui convenir.

Elle lui trouva un visage décomposé, un regard fuyant.

Était-ce l’imprévu qui la bouleversait ainsi ?

Mme Méen continua :

— Que veux-tu, ma chérie, c’est une chose à laquelle nous pouvions nous attendre. Tu es arrivée à l’âge où une jeune fille est demandée en mariage… Il me semble que, sans exagérer par trop tes qualités — continua-t-elle souriante — tu as ce qu’il faut pour plaire.

Berthe se tut.

Toute sa gaieté avait disparu.

Après un silence, gros de pensées, elle dit d’un air contraint :

— Je ne comprends pas qu’un jeune homme demande en mariage une jeune fille qu’il ne connaît pas.

— Il paraît bien qu’il te connaît puisque c’est sa famille qu’il fait agir de sa part.

— En tous cas ; il ne m’a jamais parlé et je ne l’ai jamais vu, moi !

— Ma chère petite, il sera très facile d’amener une rencontre. Je t’ai dit que c’était un jeune homme d’avenir. La famille Blégny a les plus belles relations.

— Je n’y ai pourtant jamais rencontré des princesses, releva Berthe.

— Comme tu dis cela !

— Vois-tu, maman, je n’aime pas beaucoup les jeux de grosse caisse… Les Blégny sont comme nous, ils appartiennent à la même société.

— Ma chérie, il y a une grande différence entre les deux maisons. Chez les Blégny, la tête existe. La mort de ton père a diminué de beaucoup mes relations. C’est peu de chose, vois-tu, une maison où il n’y a que des femmes.

— Et mon frère ?

— Je sais. Ton frère est comme toi au début de la vie. Ses relations ne sont pas assises. Elles n’en ont pas eu le temps. Ce sont des camaraderies, ce ne sont pas des relations.

— Il en aura plus tard. Maurice a du talent. Avec du talent on s’ouvre toutes les portes et on fait son chemin…