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— Père, j’ai à lui parler. Deux minutes, seulement.

Puis à Jean :

— Inutile de me leurrer. J’ai tout entendu.

La porte était entr’ouverte.

Surpris, il balbutie :

— Comment donc ?

— Ma mère est condamnée. Dieu me fera la grâce de quelques minutes dont j’ai besoin. Voulez-vous, je vous prie, accompagner mon père et ne pas le laisser seul. C’est lui qui a besoin de consolation.

— C’est une idée étrange que vous avez-là. Dans l’état où est votre mère, vous pouvez vous trouver embarrassée.

— Ne craignez rien. J’ai plus d’énergie et plus de courage que vous ne pensez.

Jean n’insista pas.

— Va, père, suis Jean… Vous reviendrez quand je vous en prierai.

Le désir de sa fille était un ordre.

Restée seule, Malcie fit manœuvrer le cordon des rideaux.

La lumière des deux grandes fenêtres tomba sur le visage de la malade.

Aucune impression n’échappa à la jeune femme.

Malcie s’approcha du lit, et, pour être très près de l’agonisante, afin que personne n’entendit la dernière conversation, elle s’agenouilla.

Le buste courbé, prête à recevoir la confession de celle qui mourait, Malcie prit dans ses mains celles de sa mère ; dont pas un geste, pas un mot, n’avait trahi le secret pendant tant d’années.

Son cœur battait fort, mais sa volonté était énergique.

Elle répéta :

— Mère !…

Angèle d’Hallon ne fit aucun mouvement.

Était-elle déjà insensible à tout ou bien revivait-elle le passé ?

Les remords surgissaient-ils ?

Se rappelait-elle la naissance de son premier enfant, dans une villa de la banlieue, qu’elle avait habitée pendant un mois ?

Revoyait-elle le petit être enveloppé de langes, confié à la créature infâme, la femme masquée qu’elle-même avait conduite à Jacques d’Anvertout.

Voyait-elle tout cela et tout cela l’écrasait-elle d’horribles tourments ?

— Mère ! renouvela Malcie, c’est moi votre enfant. Regardez-moi.

Les paupières se soulevèrent et les yeux ternes, presque sans vie, rencontrèrent ceux de la courageuse Malcie.

Ses lèvres remuèrent comme pour un balbutiement.

Aucun son ne sortit.

Paralysée ?

La femme de Jean tressaillit.

— Vous voulez parler, mère ?

La prunelle à demi-éteinte fit le tour de la chambre dans un effarement.

— Nous sommes seules… Si vous avez quelque chose à me dire ne craignez pas.

Un râle sortit de la poitrine d’Angèle.

— Mourir… Je vais mourir… Terrible punition ?…

— Que dites-vous, mère ? Vous n’en êtes pas là, j’espère.

Malcie se pencha.

Très bas, comme un souffle :

— Punition ?… Qu’est-ce que cela signifie ?

— Oh !… oh !…

Elle montre son front, sa poitrine.

— J’étouffe !… Jamais je ne pourrai ?

Si, mère, avec un peu de bonne volonté.

— À vous !… À vous !… C’est effrayant !

— Au contraire. Peut-être n’y a-t-il que moi qui puisse savoir… Ayez confiance !… Voyons ! un effort. Voulez-vous que je soulève votre tête ?

— Oui.

— Attendez. Je vais mettre un coussin derrière l’oreiller. Vous serez plus à l’aise. Là… Êtes-vous mieux ?… Vous devez respirer plus librement… Qu’avez-vous à me confier ?