Aller au contenu

Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Roger a souri. Il a maintenu sa décision.

— Lorsque je serai arrivé par moi-même, je m’installerai. Je dois attendre. Vous l’avouerai-je, j’aime mon atelier. Toute ma vie y est concentrée. Tous mes rêves sont entre ces murs. Je ne sais pas si je pourrais travailler… ailleurs… Ici, j’ai souffert. J’ai vécu ces heures heureuses, les plus douces de ma vie.

Malcie n’a pas hésité, mais Malcie est très femme et le refus d’aujourd’hui ne la découragera pas. Au contraire.

Elle y reviendra dans huit jours, dans un mois. Elle fêta prévaloir d’immenses avantages, etc., etc… Ce que femme veut !…

En attendant que la question de domicile qui, en somme, est secondaire, soit tranchée, Malcie ne se lasse pas. Elle va chez son vieil ami Renaud, et Renaud, qui aime les œuvres de Roger, déclare :

Il fera son chemin.

— Pensez-vous ?

— J’en suis sûr.

— Il reste trop pelotonné sur lui-même.

— Le talent s’impose, mon enfant. Ce n’est ni le Boul’Mich’, ni devant des bocks qu’on fait des chefs-d’œuvre.

Malcie souriait.

— Êtes-vous convaincu que le talent s’impose seul ?

— Aux gents intelligents, oui. Quant au renom, à la gloire, si vous voulez, savez-vous à quoi cela tient ?

— À quoi ?

— Au hasard.

— Espérons qu’il en aura des hasards heureux…

Un autre rêve hante Malcie et elle cherche à le réaliser.

Elle attend une circonstance qui fera connaître Roger, alors rien ne l’arrêtera.

Elle ne l’entretient pas seule, ce rêve doré.

Souvent, très souvent, le peintre pose ses pinceaux pour regarder un instantané pris par lui-même et dont personne ne se doute. L’amour est si malin !…

Puis, lorsqu’il s’est reposé dans la vue des doux yeux, du gracieux sourire, et qu’il a glissé la carte-album dans la pochette de son calepin, il travaille avec la fièvre, il jette avec génie du vert, du blanc, il fond ses tons en maîtres.

Quand l’œuvre fut achevée, c’était celle d’un artiste :

On en parla un jour que le capitaine Jean avait à sa table Renaud et Roger.

Malcie prétendait que la toile devait être exposée au Salon. Elle demanda l’avis du vieil ami.

— Eh mais, fichtre, je pense bien qu’il faut la présenter au Salon. J’ai toujours cru que c’était le but.

— Vous savez que Roger ne connaît personne du jury.

— Qu’il expose.

— Vous parlerez pour lui, bon ami.

— Qu’il expose !… Exposez, sacre-bleu ! parler ! parler ! On aura l’air de demander des faveurs !… des grâces !… Pas de ça !… On ne meurt pas d’un refus !

— Non, mais ce serait bien ennuyeux, murmura Malcie.

— Les épreuves font les hommes.

— Cela dépend !… Excellent ami, nous désirerions beaucoup que vous parliez pour lui. Vous nous feriez plaisir.

— Si cela ne vous contrarie pas, insista Jean.

— Ils vont me faire faire ce que j’ai juré que je ne ferais jamais, affirma le portraitiste. C’est donc bien vrai, qu’on n’accomplit des bêtises qu’avec des amis !…

Tous sourirent.

— C’est convenu, n’est-ce pas ?

— Vous y tenez donc bien !

— Certes, vous ne vous doutez pas de ce qui peut résulter d’un succès, avança la jeune femme en regardant Roger.

La rougeur qui envahit le front du peintre éventa son secret.

Renaud comprit.

— Ah ! vraiment ! dit-il. Heureux temps, hein, jeune homme. Gentille ?

— Adorable ! cher maître.