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Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/85

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Cependant, il la contemple. Il la trouve moins pâlotte. Elle s’intéresse à ce qui se passe.

N’est-ce pas un indice de guérison ?

Il sourit.

Il la regarde dans les yeux.

Il voudrait qu’elle comprît avant qu’il eût parlé.

— Tu ne devines pas ?

Sous le regard pénétrant qui persiste, elle murmure :

— C’est une voix de femme.

Il hésite encore.

— Oui… bien sûr… c’est une voix de femme.

Il se rapproche de la chaise longue où elle repose.

— Me promets-tu d’être raisonnable ?

— Tu sais bien que je le suis.

Il n’y tint plus.

— Petite sœur, tu n’as donc pas un pressentiment ? Oui, oui, c’est une dame qui est chez moi… une dame très élégante… charmante… une dame que tu aimes, sa visite a un but très sérieux. Je l’ai deviné, moi, dès que j’ai vu Mme d’Anicet.

Mme d’Anicet !…

— Parfaitement.

— Maurice, que dis-tu ? Un but très sérieux.

— Très sérieux, en effet. Elle continue la tâche qu’elle s’est imposée. Comprends-tu ? Elle le veut, très heureux !… et dame maintenant, qu’il fait partie des artistes de talent, il paraît, ma chère petite Berthe, qu’il ne peut plus vivre seul, et il a délégué tout simplement Mme d’Anicet pour demander la main de celle qu’il aime.

Elle veut parler.

Maurice l’en empêche. Il ajoute :

— À force de conspirer, je pense que nous aurons le dessus.

Il la quitte.

Les paupières de Berthe se rejoignent. Sa vision est si jolie, aux rêves si doux… Il l’enivre d’un tel bonheur que ses lèvres reprennent leur sourire, ses yeux s’ouvrent, une lueur de joie les illumine.

Un bien-être l’envahit.

Elle se sent mieux.

Elle se croit mieux.

— Eh bien ? interroge émue, Mme Méen.

Maurice répond simplement.

— Berthe est heureuse.

Insensiblement dominé par la tendresse, le courroux de la mère tombe.

Au fond que souhaite-t-elle ? sinon le bonheur de ses enfants.

Malcie qui a triomphé de tous les obstacles, se lève.

— Pourrais-je la voir ? demanda-t-elle, lui serrer la main… lui dire qu’elle guérisse vite ?…

Mme Méen ne proteste plus.

Elle ouvre la porte que vient de refermer le jeune homme.

Souriante, tous prennent la même direction.

Berthe gît sur le parquet.

Son long peignoir fait ressortir les formes du corps fluet qui ne se meut pas.

Que s’est-il passé ?

Heureuse de la confidence, a-t-elle voulu essayer de faire quelques pas ?

…Se rendre compte de ce qu’ils tramaient sans elle.

…Les surprendre gentiment !

Berthe a trop présumé de ses forces.

En glissant de son siège, une faiblesse l’a prise…

Elle a vu la porte, devant elle, très près, à deux pas…

Un mouvement suffit pour franchir la distance.

Elle la veut franchir.

Mais aussitôt un vertige…

Elle veut se retenir…

Elle se cramponne à un fauteuil, mais ses forces ne sont pas suffisantes. Elle s’affaisse doucement…

Personne n’entend le bruit du corps.

Malcie est devenu blême.

Évanouie ?

Morte ?

La fatalité ne lâcherait-elle pas Roger ?