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Page:De Bachaumont - Mémoires secrets Tome 1 - 1762-1765 - Ravenel - Ed. Brissot-Thivars - 1830.djvu/397

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MÉMOIRES SECRETS

21. — On ne peut s’empêcher de consigner ici une lettre d’un militaire, grand seigneur très-respectable, qui paraît avoir entrepris de nous retracer encore les loyales et franches vertus de, l’ancienne chevalerie, dont il semble avoir conservé jusqu’au style.

Lettre de M. le duc de Brissac, à madame la comtesse
de Gisors,
Qui l’avait prié de solliciter les juges du curé de Saint-Sulpice
contre son concurrent, l’abbé Noguès[1].

Ma seule, unique et essentielle déité, veut donc que j’aille donquichotter pour les paroissiaux intérêts de sa conscience couleur de rose ? Elle m’ordonne le rôle de valet de tragédie d’un schisme en faubourg Saint--

  1. Voici à quelle occasion cette lettre fut écrite. « M. Dulau Dallemans avait résigné*. la cure de Saint-Sulpice, une des plus considérables de Paris entre les mains de M. le comte de Clermont, prince du sang, et, en sa qualité d’abbé de Saint-Germain, patron de la cure. En conséquence de ce sacrifice, on donna une riche abbaye à M. Dulau, et le prince patron nomma l’abbé Noguès pour lui succéder. Celui-ci, connu pour janséniste, souleva contre lui tous les molinistes de la paroisse, que madame la comtesse de Gisors**. , amie intime de M. l’archevêque de Paris, se faisait gloire de commander. Intrigue, cabale, rien ne fut épargné de part et d’autre pour triompher d’une manière éclatante ; mais M. Dulau prit un parti courageux et décisif. Un curé qui a résigné sa cure, peut se repentir de sa résignation pendant un certain espace de temps limité. Alors la résignation est nulle. M. Dulau, après avoir reçu et accepté l’abbaye qu’on lui avait donnée, se repentit. Sa résignation fut nulle, et il ne resta que l’acceptation de l’abbaye de valable ; c’est ce que le parlement lui-même, qui portait l’abbé Noguès de toutes ses forces, ne put s’empêcher de juger dans son arrêt. Le repentir du curé de Saint-Sulpice ne surprit personne, parce que M. Dulau est depuis long-temps un homme fort décrié ; mais cela n’empêcha pas le parti moliniste de triompher, comme s’il avait le plus grand saint à sa tête. En fait de parti, il est question de succès, n’importe par quels moyens, et la probité qui échoue a mauvaise grâce vis-à-vis la friponnerie qui réussit. La morale de M. le duc de Brissac n’admet pas cette doctrine. » (Grimm, Correspondance littéraire. ier décembre 1765). — R.

    * Le 29 mai 1765. La révocation est du 26 juillet suivant. — R.

    **Elle était fille du duc de Nivernois. — R.