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Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/375

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— Si étions un homme, Chatigny, voyons cette pierre que j’allions lancer contre toi !

Chatigny se retira à une quinzaine de pieds de distance et répondit :

— Envoie, je suis prêt à la recevoir.

La pierre tomba à une dizaine de pouces de Chatigny, lequel, sans s’émouvoir, souleva la masse énorme et dit : « à ton tour maintenant, Pierre Jean ! » et sur ce, il lança le caillou avec tant de force qu’il tomba quasi aux pieds de Pierre Jean.

Cette prouesse inattendue d’un homme dont on ignorait la force prodigieuse fut accueillie aux acclamations des spectateurs.

Pierre Jean fut piqué jusqu’au vif ; mais, avec la dissimulation de ceux qui ont du sang indien dans les veines, il feignit d’être content du succès de son ami, et l’en complimenta comme les autres ; on crut, néanmoins, s’apercevoir ensuite qu’il avait l’air encore plus sombre et plus sournois qu’auparavant ; mais personne ne s’en occupa.

Les deux amis continuèrent, après cette scène, à vivre, à ce qu’il paraissait, en aussi bonne intelligence que par le passé, et partirent un jour pour la batture aux loups-marins ; mais Pierre Jean revint seul. Je ne sais ce qu’il raconta pour expliquer l’absence de Chatigny, mais on s’en contenta, jusqu’à ce que quelques paroles échappées à Pierre Jean, neuf jours après son retour de la batture, éveillèrent les soupçons.

Il dit un soir en soupant :

— Si Chatigny avions de cette bouillie, en mangions furieusement ce soir !