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Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/376

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Ces paroles, prononcées d’un air moitié sombre, moitié railleur, et la longue absence de Chatigny commencèrent à inquiéter les parents, dont deux partirent le lendemain pour la batture, où un triste spectacle les attendait. Ils trouvèrent le malheureux, couché sous une épinette, mais donnant à peine signe de vie. Cependant, après lui avoir fait avaler un peu d’eau-de-vie, il prononça ces paroles : Si Pierre-Jean eût entendu mes lamentations, il n’aurait jamais eu le cœur de me laisser, moi, son ami d’enfance, mourir de faim. Ô mon Dieu ! quel fut mon désespoir quand, à mon retour de la chasse, je vis qu’il avait mis seul à flot une chaloupe que nos forces réunies avaient eu peine à monter sur la plage, et qu’il était parti. Je pénétrai alors son cruel dessein ; mais dites-lui que je lui pardonne.

Et il expira.

Voilà pourquoi cette butte a nom Chatigny, et pourquoi nous évitons ce lieu funeste.

— Maintenant, M. Fournier, lui dis-je, il y a quelques circonstances que je ne puis concilier dans cette triste histoire. Comment se fait-il que Chatigny soit mort de faim muni d’un fusil sur une batture si giboyeuse, et comment expliquer, aussi, qu’il n’ait pas fait les signaux de détresse qui sont connus de tous les Canadiens ?

— J’ai souvent fait, me répondit monsieur Fournier, les mêmes réflexions, mais je ne puis vous dire que ce que les anciens m’ont raconté. J’ai pensé, à part moi que c’était probablement une promenade qu’ils étaient venus faire sur cette batture dans un temps où il n’y avait pas