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Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/384

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comme père et mère ; l’animal voulait fuir à son aspect, mais l’hercule le considérant de bonne prise, lui livra bataille, le terrassa, finit par le saisir par la nuque et arriva avant la messe à la porte de l’église de la baie Saint Paul avec son prisonnier, où de nombreux spectateurs furent témoins de cette scène assez nouvelle pour eux. Il paraît que le maître de nos forêts canadiennes goûtait peu cette manière de voyager, car Grenon dit en arrivant : Le gredin n’aime guère la société des honnêtes gens : il s’accrochait avec ses griffes à tous les arbres et racines qu’il trouvait à sa portée.

L’inspection des lieux convainquit bien vite les curieux de la vérité de ces dernières paroles : jeunes pousses d’arbres et racines auxquelles l’ours s’était accroché jonchaient le chemin qu’il avait parcouru.

En m’entretenant dernièrement des prouesses du vieux Grenon avec un vieil habitant nommé Joseph Charretier, mon voisin à la campagne, je lui dis que l’on m’avait assuré que les filles même de cet hercule avaient des nerfs d’acier.

— Je n’ai jamais connu le bonhomme Grenon, ni ses fils, me dit Charretier, mais quant à une de ses filles, je puis vous en parler savamment. J’avais alors environ vingt-cinq ans, et c’était la première fois que je mettais le pied sur la terre du Nord. J’arrivais à grands pas au pied des côtes épouvantables de la baie Saint-Paul qu’il me fallait franchir, lorsqu’une jeune fille chargée d’un paquet qu’elle portait sous un bras, passa près de moi en trottinant. J’étais dans l’âge où l’on sait accoster proprement une créature (femme) et je