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Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/546

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trompé ! S’il m’est donné de calculer les dernières minutes qui s’écouleront entre la vie et la mort, je me rappellerai sans doute la prédiction de mon ancien directeur, et je dirai : Il avait raison : c’était demain ! La vigueur, la sève de la jeunesse, l’exubérance du sang me présageaient alors une longue vie, mon demain est pourtant déjà arrivé, car il me semble que je n’ai vécu qu’un jour. Et qu’est-ce en effet que soixante-dix ans dans la durée infinie de l’éternité !

Mais je retourne à cette maison, à ce grenadier, que je cherche en vain aujourd’hui. Le théâtre des marionnettes, source de tant de jouissances pour les enfants, s’ouvrait régulièrement à six heures du soir, la seconde fête de Noël (il y avait alors trois fêtes de Noël), pour ne fermer que le mercredi des cendres. L’entrée n’en était pas dispendieuse : pour la somme de six sols l’enfant pouvait s’abreuver de délices. Comme le local n’était pas à beaucoup près si spacieux que celui de Convent-Garden à Londres, ou de l’Odéon à Paris, on fermait la porte lorsque toutes les places étaient prises, et ceux qui arrivaient ensuite, ou qui n’avaient pu entrer, attendaient patiemment pendant deux heures sur la neige, le second jeu qui suivait le premier sans interruption : il y avait quelquefois trois jeux dans la même soirée.

Il est inutile d’ajouter que depuis l’introduction des marionnettes dans cette cité par le sieur Marseille et sa femme, jusqu’à la clôture de ce brillant théâtre, il y a vingt-cinq ans, il est inutile d’ajouter, dis-je, que ces poupées parlantes et dansantes firent les délices de plusieurs générations d’enfants pendant plus d’un siècle.