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Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/74

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MÉMOIRES.

— Madame, fit le frère Marc, n’en a que plus de mérite, de faire le carême sans aimer le poisson.

Le frère Alexis, après avoir baissé la tête en signe d’approbation, continua : — Comme nous ne mangeons que du poisson salé pendant l’hiver, le poisson frais étant trop cher, il est de règle qu’on nous serve des œufs pendant les quinze derniers jours du carême. Or, pendant le dernier, étant très-fatiguées de nos vivres salés, nous attendions avec hâte les bienheureux œufs. On nous sert, le dimanche, des œufs à la tripe, le lundi une farce d’œufs à l’oseille, le mardi des œufs à la coque, mais aussi durs que ceux dont on se sert pour faire les deux premiers mets. Bref, pendant sept jours, nous ne vîmes sur notre table que des œufs durs comme des pierres. Plusieurs de nous, commençant à en ressentir les inconvénients, il fut convenu que je ferais des représentations au cuisinier à ce sujet. J’aborde donc le frère Ambroise, l’homme le moins accostable de tous les cuisiniers de l’ordre de Saint-François, et je lui représente que nous sommes tous incommodés de ce régime indigeste, le priant, très poliment, de ménager à l’avenir le feu dans la cuisson des œufs destinés à notre table.

— Vous êtes une bande de lâches, ennemis de la pénitence ! fit frère Ambroise. A-t-on jamais entendu, avant ce jour, un fils de Saint-François se plaindre de la nourriture de son couvent ?

— Mais, cher frère, lui dis-je, nous sommes tous si fiévreux, que nous commençons à perdre le sommeil.

— Vous n’en serez que plus éveillés pour chanter matines, dit le frère Ambroise, on ne sera pas obligé