Aller au contenu

Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’un, s’empêchent bien de se plaindre et montrer de la délicatesse, car cela, à leur avis (et il est vrai), témoignerait évidemment une grande défaillance de force et de générosité ; mais ils désirent extrêmement, et par plusieurs artifices recherchent que chacun les plaigne, qu’on ait grande compassion d’eux, et qu’on les estime non seulement affligés, mais patients et courageux. Or, cela est vraiment une patience, mais une patience fausse, qui en effet n’est autre chose qu’une très délicate et très fine ambition et vanité : « Ils ont de la gloire, dit l’Apôtre, mais non pas envers[1] Dieu ». Le vrai patient ne se plaint point de son mal ni ne désire qu’on le plaigne ; il en parle naïvement, véritablement et simplement, sans se lamenter, sans se plaindre, sans l’agrandir : que si on le plaint, il souffre patiemment qu’on le plaigne, sinon qu’on le plaigne de quelque mal qu’il n’a pas ; car lors il déclare modestement qu’il n’a point ce mal-là, et demeure en cette sorte paisible entre la vérité et la patience, confessant son mal et ne s’en plaignant point.

Ès contradictions qui vous arriveront en l’exercice de la dévotion (car cela ne manquera pas), ressouvenez-vous de la parole de Notre Seigneur : « La femme tandis qu’elle enfante a de grandes angoisses, mais voyant son enfant né elle les oublie, d’autant qu’un homme lui est né au monde » ; car vous avez conçu en votre âme le plus digne enfant du monde, qui est Jésus-Christ : avant qu’il soit produit et enfanté du tout, il ne se peut que vous ne vous ressentiez du travail ; mais ayez bon

  1. Envers = auprès de.