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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/186

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s’accommoder aux abjects. Voyez un dévotieux ermite tout déchiré et plein de froid : chacun honore son habit gâté, avec compassion de sa souffrance ; mais si un pauvre artisan, un pauvre gentilhomme, une pauvre damoiselle en est de même, on l’en méprise, on s’en moque, et voilà comme sa pauvreté est abjecte. Un religieux reçoit dévotement une âpre censure de son supérieur, ou un enfant de son père : chacun appellera cela mortification, obédience et sagesse ; un chevalier et une dame en souffrira de même de quelqu’un, et quoique ce soit pour l’amour de Dieu, chacun rappellera couardise et lâcheté : voilà donc encore un autre mal abject. Une personne a un chancre au bras, et l’autre l’a au visage : celui-là n’a que le mal, mais cestui-ci, avec le mal, a le mépris, le dédain et l’abjection. Or, je dis maintenant, qu’il ne faut pas seulement aimer le mal, ce qui se fait par la vertu de la patience ; mais il faut aussi chérir l’abjection, ce qui se fait par la vertu de l’humilité.

De plus, il y a des vertus abjectes et des vertus honorables : la patience, la douceur, la simplicité et l’humilité même sont des vertus que les mondains tiennent pour viles et abjectes ; au contraire, ils estiment beaucoup la prudence, la vaillance et la libéralité. Il y a encore des actions d’une même vertu, dont les unes sont méprisées et les autres honorées ; donner l’aumône et pardonner les offenses sont deux actions de charité : la première est honorée d’un chacun, et l’autre méprisée aux yeux du monde. Un jeune gentilhomme ou une jeune dame qui ne s’abandonnera pas au dérèglement d’une troupe débauchée, à parler, jouer, danser, boire, vêtir, sera brocardé et censuré par les autres, et sa modestie sera nommée