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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/218

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leste dedans les biens terrestres ; faites qu’il leur soit toujours supérieur, sur eux, non pas en eux.

Il y a différence entre avoir du poison et être empoisonné : les apothicaires ont presque tous des poisons pour s’en servir en diverses occurrences, mais ils ne sont pas pour cela empoisonnés, parce qu’ils n’ont pas le poison dedans le corps, mais dedans leurs boutiques ; ainsi pouvez-vous avoir des richesses sans être empoisonnée par icelles : ce sera si vous les avez en votre maison ou en votre bourse, et non pas en votre cœur. Être riche en effet et pauvre d’affection, c’est le grand bonheur du chrétien ; car il a par ce moyen les commodités des richesses pour ce monde et le mérite de la pauvreté pour l’autre.

Hélas ! Philothée, jamais nul ne confessera d’être avare ; chacun désavoue cette bassesse et vileté de cœur. On s’excuse sur la charge des enfants qui presse, sur la sagesse qui requiert qu’on s’établisse en moyens : jamais on n’en a trop, il se trouve toujours certaines nécessités d’en avoir davantage ; et même les plus avares, non seulement ne confessent pas de l’être, mais ils ne pensent pas en leur conscience de l’être ; non, car l’avarice est une fièvre prodigieuse, qui se rend d’autant plus insensible qu’elle est plus violente et ardente. Moïse vit le feu sacré qui brûlait un buisson et ne le consumait nullement, mais au contraire le feu profane de l’avarice consume et dévore l’avaricieux et ne le brûle aucunement ; au moins, emmi ses ardeurs et chaleurs plus excessives, il se vante de la plus douce fraîcheur du monde, et tient que son altération insatiable est une soif toute naturelle et suave.