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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/252

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toujours les abattre quand on veut, mais on ne les peut pas réparer toujours quand on veut.

Il me semble que nous devons avoir en grande révérence la parole que notre Sauveur et Rédempteur Jésus-Christ dit à ses disciples : « Mangez ce qui sera mis devant vous ». C’est, comme je crois, une plus grande vertu de manger sans choix ce qu’on vous présente et en même ordre qu’on le vous présente, ou qu’il soit à votre goût ou qu’il ne le soit pas, que de choisir toujours le pire. Car encore que cette dernière façon de vivre semble plus austère, l’autre néanmoins a plus de résignation, car par icelle on ne renonce pas seulement à son goût, mais encore à son choix ; et si, ce n’est pas une petite austérité de tourner son goût à toute main et le tenir sujet aux rencontres, joint que cette sorte de mortification ne paraît point, n’incommode personne, et est uniquement propre pour la vie civile. Reculer une viande pour en prendre une autre, pincer et racler toutes choses, ne trouver jamais rien de bien apprêté ni de bien net, faire des mystères à chaque morceau, cela ressent un cœur mol et attentif aux plats et aux écuelles. J’estime plus que saint Bernard bût de l'huile pour de l’eau ou du vin, que s’il eût bu de l’eau d’absinthe avec attention ; car c’était signe qu’il ne pensait pas à ce qu’il buvait. Et en cette nonchalance de ce qu’on doit manger et qu’on boit, gît la perfection de la pratique de ce mot sacré : « Mangez ce qui vous sera mis devant ». J’excepte néanmoins les viandes qui nuisent à la santé ou qui même incommodent l’esprit, comme font à plusieurs les viandes chaudes et épicées, fumeuses, venteuses ; et certaines occasions esquelles la nature a besoin d’être récréée