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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/268

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Selon les causes des jugements téméraires, il y faut remédier. Il y a des cœurs aigres, amers et âpres de leur nature, qui rendent pareillement aigre et amer tout ce qu’ils reçoivent, et convertissent, comme dit le Prophète, le jugement en absinthe, ne jugeant jamais du prochain qu’avec toute rigueur et âpreté : ceux-ci ont grandement besoin de tomber entre les mains d’un bon médecin spirituel, car cette amertume de cœur leur étant naturelle, elle est malaisée à vaincre ; et bien qu’en soi elle ne soit pas péché, ains seulement une imperfection, elle est néanmoins dangereuse, parce qu’elle introduit et fait régner en l’âme le jugement téméraire et la médisance. Aucuns jugent témérairement non point par aigreur mais par orgueil, leur étant avis qu’à mesure qu’ils dépriment l’honneur d’autrui, ils relèvent le leur propre : esprits arrogants et présomptueux, qui s’admirent eux-mêmes et se colloquent si haut en leur propre estime, qu’ils voient tout le reste comme chose petite et basse : « Je ne suis pas comme le reste des hommes », disait ce sot Pharisien.

Quelques-uns n’ont pas cet orgueil manifeste, ains seulement une certaine petite complaisance à considérer le mal d’autrui, pour savourer et faire savourer plus doucement le bien contraire, duquel ils s’estiment doués ; et cette complaisance est si secrète et imperceptible, que si on n’a bonne vue on ne la peut pas découvrir, et ceux même qui en sont atteints ne la connaissent pas si on ne la leur montre. Les autres, pour se flatter et excuser envers eux-mêmes et pour adoucir les remords de leurs consciences, jugent fort volontiers que les autres sont vicieux du vice auquel ils se sont voués, ou de quelque