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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/269

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autre aussi grand, leur étant avis que la multitude des criminels rend leur péché moins blâmable. Plusieurs s’adonnent au jugement téméraire, pour le seul plaisir qu’ils prennent à philosopher et deviner des mœurs et humeurs des personnes, par manière d’exercice d’esprit ; que si par malheur ils rencontrent quelquefois la vérité en leurs jugements, l’audace et l’appétit de continuer s’accroît tellement en eux, que l’on a peine de les en détourner. Les autres jugent par passion, et pensent toujours bien de ce qu’ils aiment et toujours mal de ce qu’ils haïssent, sinon en un cas admirable et néanmoins véritable, auquel l’excès de l’amour provoque à faire mauvais jugement de ce qu’on aime : effet monstrueux, mais aussi provenant d’un amour impur, imparfait, troublé et malade, qui est la jalousie, laquelle, comme chacun sait, sur un simple regard, sur le moindre souris du monde condamne les personnes de perfidie et d’adultère. Enfin, la crainte, l’ambition et telles autres faiblesses d’esprit contribuent souvent beaucoup à la production du soupçon et jugement téméraire.

Mais quels remèdes ? Ceux qui boivent le suc de l’herbe ophiusa d’Ethiopie cuident partout voir des serpents et choses effroyables : ceux qui ont avalé l’orgueil, l’envie, l’ambition, la haine, ne voient rien qu’ils ne trouvent mauvais et blâmable ; ceux-là pour être guéris doivent prendre du vin de palme, et j’en dis de même pour ceux-ci : buvez le plus que vous pourrez le vin sacré de la charité, elle vous affranchira de ces mauvaises humeurs qui vous font faire ces jugements tortus. La charité craint de rencontrer le mal, tant s’en faut qu’elle l’aille chercher ; et quand elle le rencontre, elle en détourne sa face