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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/278

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prouve le vice ; que si je suis des moindres, je ne dois pas entreprendre de faire la censure. Mais surtout, il faut que je sois exactement juste en mes paroles, pour ne dire pas un seul mot de trop : par exemple, si je blâme la privauté de ce jeune homme et de cette fille, parce qu’elle est trop indiscrète et périlleuse, o Dieu, Philothée, il faut que je tienne la balance bien juste, pour ne point agrandir la chose, pas même d’un seul brin. S’il n’y a qu’une faible apparence, je ne dirai rien de cela ; s’il n’y a qu’une simple imprudence, je ne dirai rien davantage ; s’il n’y a ni imprudence, ni vraie apparence du mal, ains seulement que quelque esprit malicieux en puisse tirer prétexte de médisance, ou je n’en dirai rien du tout, ou je dirai cela même. Ma langue, tandis que je parle du prochain, est en ma bouche comme un rasoir en la maindu chirurgien qui veut trancher entre les nerfs et les tendons : il faut que le coup que je donnerai soit si juste, que je ne dise ni plus ni moins que ce qui en est. Et enfin, il faut surtout observer, en blâmant le vice, d’épargner le plus que vous pourrez la personne en laquelle il est.

Il est vrai que des pécheurs infâmes, publics et manifestes, on en peut parler librement, pourvu que ce soit avec esprit de charité et de compassion, et non point avec arrogance et présomption, ni pour se plaire au mal d’autrui ; car, pour ce dernier, c’est le fait d’un cœur vil et abject. J’excepte entre tous, les ennemis déclarés de Dieu et de son Église ; car ceux-là, il les faut décrier tant qu’on peut, comme sont les sectes des hérétiques et schismatiques, et les chefs d’icelles : c’est charité de crier au loup, quand il est entre les brebis, voire où qu’il soit.