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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/324

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vant le temps, vos affaires domestiques en pâtiront ; il faut vivre au monde comme au monde ; on peut bien faire son salut sans tant de mystères ; et mille telles bagatelles.

Ma Philothée, tout cela n’est qu’un sot et vain babil ; ces gens-là n’ont nul soin ni de votre santé ni de vos affaires. « Si vous étiez du monde, dit le Sauveur, le monde aimerait ce qui est sien ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, partant il vous hait ». Nous avons vu des gentilshommes et des dames passer la nuit entière, ains plusieurs nuits de suite, à jouer aux échecs et aux cartes. Y a-t-il une attention plus chagrine, plus mélancolique et plus sombre que celle-là ? les mondains néanmoins ne disaient mot, les amis ne se mettaient point en peine ; et pour la méditation d’une heure, ou pour nous voir lever un peu plus malin qu’à l’ordinaire pour nous préparer à la communion, chacun court au médecin, pour nous faire guérir de l’humeur hypocondriaque et de la jaunisse. On passera trente nuits à danser : nul ne s’en plaint ; et pour la veille seule de la nuit de Noël, chacun tousse et crie au ventre le jour suivant. Qui ne voit que le monde est un juge inique, gracieux et favorable pour ses enfants, mais âpre et rigoureux aux enfants de Dieu ?

Nous ne saurions être bien avec le monde, qu’en nous perdant avec lui. Il n’est pas possible que nous le contentions, car il est trop bizarre : « Jean est venu, dit le Sauveur, ne mangeant ni buvant, et vous dites qu’il est endiablé ; le Fils de l’homme est venu en mangeant et buvant, et vous dites qu’il est Samaritain ». Il est vrai, Philothée ; si nous nous relâchons