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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, Curet, 1810.djvu/415

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et voici la raison qu’en donnent ceux qui ont une grande expérience de la conduite des âmes. L’homme ne peut long-temps subsister sans aucun plaisir, qui lui vienne, soit de la terre, soit du Ciel : or, comme les âmes qui se sont élevées au-dessus d’elles-mêmes par l’essai des plaisirs supérieurs à la nature, renoncent facilement aux biens visibles et sensibles ; il arrive aussi que quand Dieu les prive de la joie salutaire de son Esprit, dépourvues qu’elles sont des consolations temporelles, et n’étant point encore faites à attendre avec patience le retour du Soleil de justice, il leur semble qu’elles ne sont ni dans le Ciel ni sur la terre, et qu’elles demeureront ensevelies dans une nuit perpétuelle ; si bien que semblables à des enfans que l’on a sevrés, elles languissent, elles gémissent, elles deviennent ennuyeuses et importunes à tout le monde, et principalement à elles-mêmes : c’est justement ce qui arriva dans un voyage de St. Bernard, à un de ses Religieux, nommé Geoffroy de Perronne, qui depuis peu de temps s’étoit consacré au service de Dieu ; car comme il fut soudainement privé de toute consolation, et rempli de ténèbres spirituelles, il commença à se rappeler l’idée de ses amis du monde, de ses parens et de ses biens ; mais ce souvenir fut suivi d’une tentation si violente, qu’un de ses plus confidens s’en aperçut par ses manières extérieures, et l’ayant adroitement abordé,