Aller au contenu

Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
201
DU JUGEMENT QU’ON PORTE, etc.

qu’il respecte la religion et la morale, doit aller aussi loin qu’il veut : c’est l’empire de la pensée qu’il agrandit.

La littérature, en Allemagne, est tellement empreinte de la philosophie dominante, que l’éloignement qu’on auroit pour l’une pourroit influer sur l’autre : cependant les Anglais, depuis quelque temps, traduisent avec plaisir les poëtes allemands, et ne méconnoissent point l’analogie qui doit résulter d’une même origine. Il y a plus de sensibilité dans la poésie anglaise et plus d’imagination dans la poésie allemande. Les affections domestiques exerçant un grand empire sur le cœur des Anglais, leur poésie se sent de la délicatesse et de la fixité de ces affections : les Allemands, plus indépendants en tout parce qu’ils sont moins libres, peignent les sentiments comme les idées à travers des nuages : on diroit que l’univers vacille devant leurs yeux, et l’incertitude même de leurs regards multiplie les objets dont leur talent peut se servir.

Le principe de la terreur, qui est un des grands moyens de la poésie allemande, a moins d’ascendant sur l’imagination des Anglais de nos jours ; ils décrivent la nature avec charme, mais elle n’agit plus sur eux comme une puissance redoutable