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Page:De Wulf - Le Problème des Universaux dans son évolution historique du IXe au XIIIe siècle, 1900.pdf/17

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génien. C’est que cette théorie paraît fournir une explication rationnelle à divers dogmes de la foi catholique, notamment à la transmission du péché originel. L’humanité, nous dit Odon de Tournai, par exemple, n’est que la collection numérique des individus existant à un moment donné ; une substance unique vibre à travers ces existences éphémères. Quand Adam et Ève ont péché, la substance entière dans toutes ses ramifications alors existantes a été infectée et les générations à venir, vivant d’une vie anticipative dans cette substance viciée, ont tous pâti de cette défaillance.[1] On comprend que des raisonnements de ce genre aient conquis des adhésions à l’emporte-pièce à une époque où les questions de philosophie se posaient principalement sur le terrain de la théologie.

Mais il est une troisième cause, plus profonde, plus universelle qui doit avoir, ce nous semble, décidé de la conviction philosophique d’un grand nombre. C’est quel le réalisme platonicien fournit au problème des universaux la plus simple des réponses. Si le monde extérieur est un ensemble de réalités universelles répondant adéquatement à nos idées abstraites, la vérité de nos conceptions est établie, ou plutôt elle apparaît comme un postulat évident, qu’on ne songe même pas à mettre en doute. Une doctrine aussi nette devait séduire des générations jeunes et avides de solutions dogmatiques.

Les réalistes outrés du IXe, Xe, XIe et XIIe siècles se répartissent en deux groupes distincts. Les uns attribuent à l’essence universelle une réalité fondamentale dont sont tributaires tous les individus d’une même espèce, mais pour chaque espèce ils

  1. Ecce peccavit uiraque persona suggestione serpentis… Si vero peccavit, sine sua substantia non peccavit. Est ergo personae substantia peccato vitiata, et inficit peccatum substantiam quae nusquam est extra peccatricem personam… Si enim fuisset in aliis divisa, pro ipsis solis non inficeretur tota. Quia si peccassent istae, forsitan non peccassent aliae, in quibus esset salva humanae animae nature. — (de peccato originali, livre II, col. 1079. Patrologie de Migne. t. CLX) cfr. De Wulf. Histoire de la philosophie scolastique dans les Pays-Bas et la principalité de Liège 1895. p. 18 et suiv.