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Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/480

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

diocre pour un petit nombre d’idées répandues çà et là et qu’il faut démêler ! La lecture d’un livre qui n’est pas tout à fait frivole est un travail : il cause au moins une certaine fatigue ; l’homme qui écrit semble prêter le collet à la critique. Il discute et on peut discuter avec lui.

L’ouvrage du peintre et du sculpteur est tout d’une pièce comme les ouvrages de la nature. L’auteur n’y est point présent, et n’est point en commerce avec vous, comme l’écrivain ou l’orateur. Il offre une réalité tangible en quelque sorte, qui est pourtant pleine de mystère. Votre attention n’est pas prise pour dupe ; les bonnes parties sautent aux yeux en un moment ; si la médiocrité de l’ouvrage est insupportable, vous en avez bien vite détourné la vue, tandis que celle d’un chef-d’œuvre vous arrête malgré vous, fixe dans une contemplation à laquelle rien ne vous convie qu’un charme invincible. Ce charme muet opère avec la même force, et semble s’accroître toutes les fois que vous y jetez les yeux.

Il n’en est pas tout à fait ainsi d’un livre. Les beautés n’en sont pas assez détachées pour exciter constamment le même plaisir. Elles se lient trop à toutes les parties qui, à cause de l’enchaînement et des transitions, ne peuvent offrir le même intérêt. Si la lecture d’un bon livre éveille nos idées, et c’est une des premières conditions d’une semblable lecture, nous les mêlons involontairement à celles de l’auteur ; ses images ne peuvent être si frappantes