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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/11

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LE PAIN BLANC

blements minuscules. Cinq ou six boîtes posées l’une à côté de l’autre constituent les appartements du château.

Il y a aussi une écurie en bois blanc contenant trois chevaux en fer peint. L’imagination travaille. Dans ce monde menu, que d’événements extraordinaires ! Mais chaque fois qu’ils le peuvent, les frères, en rentrant du lycée, profitant d’un instant où la petite n’est pas là, mettent les dames dans l’écurie, les chevaux dans les lits, les meubles à l’envers.

C’est tout à coup un désespoir incommensurable, non pas pour le fait matériel aisément réparable, mais à cause du rêve dérangé, des mystères tournés en ridicule. Élysée ne saurait dire pourquoi de tels sanglots. Les enfants ne se comprennent pas eux-mêmes.

À qui se plaindre ?

À maman, cela va de soi. C’est l’instinct des petits, quelle que soit leur mère, de courir tout de suite à cette sorte de dieu qui sait tout, qui peut tout. Mais ce dieu-là, comme tous les autres, répartit à tort et à travers punitions et récompenses. Encore une fois, c’est Élysée qui reçoit les claques.

« Maman aime mieux ses garçons. »

De bonne heure la fillette a senti cela. Voilà comme elle s’est raccrochée à son père trop rarement présent, et qu’elle aime avec le sentiment d’une obscure culpabilité, puisqu’il est un monstre.

Est-ce par esprit non analysé de revanche ? Câlineries, coquetteries, tant de petits mots tendres et d’œillades complices, tout est pour lui.

— Regardez-les !… gronde la mère. Ils sont tous pareils ! Lui ressemble-t-elle assez ! Ça en est comique !

Élysée est fière de ce mot, encore que ne comprenant pas comment le visage d’un monsieur barbu peut bien ressembler à sa petite figure à elle.

À dix ans, on n’a pas encore le sens des ressemblances. Elle ne sait pas que leurs longs yeux, coupés en biais vers les tempes, sont du même émail noir enchâssés dans du blanc pur, et qu’ils ont pareillement ce regard croisé qui agit comme un charme. Elle ne sait pas que la vie de ces deux paires de prunelles est identique, vie étincelante et rapide dans la nacre mouillée, et que, rieurs un peu, ces yeux si beaux ont une expression si bonne.

Autre point lumineux dans leurs deux faces brunes, les dents