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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/112

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LE PAIN BLANC

avait tenté de se rapprocher d’eux peu de temps après l’armistice et n’en avait obtenu qu’une lettre fort grossière qui rompait définitivement tous les liens du sang.

La petite tristesse apportée par cette révélation se dissipa bientôt comme l’autre. Des vacances passées à Deauville, de nouvelles relations, mille amusements étourdissaient les dix-sept ans et demi de la ravissante Élise Arnaud. Ses fiançailles avec Villevieille, presque officielles, lui prêtaient toute l’autorité d’une future comtesse. Elle était la fille d’un père célèbre, la belle-fille d’une haute élégante, elle était instruite, musicienne, sa réputation de beauté courait les salons, elle n’avait vraiment rien à envier en ce monde.

Quelques grands voyages en auto, le séjour d’un mois qu’elle fit au château de Moimeyrans furent les grands événements de l’année qui suivit. Et, 1920 à peine commencé, la vit en lutte avec sa belle-mère pour une toquade que celle-ci combattait de toutes ses forces, n’ayant jamais renoncé, malgré toutes apparences, disait-elle, à guider sa belle-fille dans le chemin qu’il fallait.

— Puisque Geneviève d’Estenol l’a fait, répétait Élysée, puisque Jacqueline Galaty et Simone de Bussières sont sur le point de le faire aussi, pourquoi ne voulez-vous pas, mère, que je coupe mes cheveux ?

Toujours sans volonté, le docteur Arnaud plaidait pour sa fille.

— Elle serait si gentille ! Un vrai petit page !

— Quand on a des tresses comme les siennes, scandait Octavie Arnaud, on ne les coupe pas pour satisfaire la mode.

— Ne l’écoutez donc pas, chuchotait Julien dans les coins. Moi, vous ne me plairez vraiment qu’avec des cheveux courts. Les vôtres, qui sont presque frisés, n’auront pas besoin du coup de fer pour avoir le mouvement ; et vous serez bien mieux réalisée qu’avec vos nattes de Keepsake, qui vous donnent un air romanesque presque ridicule à notre époque.

La despotique Octavie tint bon pendant plus de deux mois. Mais le matin où vint le coiffeur, comme Élysée baissait joyeusement la tête pour le sacrifice, elle releva les yeux et ne comprit pas cette expression qu’avait l’aigle aux yeux bleus en regar-