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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/111

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LE PAIN BLANC

Elle resta longtemps blessée, ébranlée dans ses admirations, ne sachant plus si elle devait continuer ses études musicales, abandonner pour toujours la poésie.

Fernet lui avait prêté les ouvrages qui devaient l’initier au goût du jour. Perdue dans les élucubrations des jeunes insensés actuels, il lui semblait étudier une langue nouvelle, aux racines nourries de morphine et de coco, bégaiements informes qui vont tout droit vers les onomatopées du bas-âge ou celles de la sénilité.

« Non !… criait tout son instinct, ce n’est pas cela la poésie ! » Mais n’ayant plus personne pour la gouverner, puisqu’elle s’était bien gardée de raconter l’aventure aux siens, n’osant plus se confier à Mlle Levieux, figure reculée à jamais au fond d’un passé plus que démodé, elle se sentait incapable, étant née faible, de retrouver elle-même son équilibre au milieu des fluides nouveaux qui l’influençaient.

Lentement, elle finit par oublier. Ce fut avec un peu plus d’âpreté qu’elle se rua vers les plaisirs frivoles de sa vie. Cependant, elle apporta moins d’enthousiasme, désormais, à ses séances de musique, en même temps qu’elle apprenait à cultiver une réserve prudente dans ses conversations mondaines.

Elle ne se rendait pas compte que, plus orpheline que jamais, elle n’avait vraiment plus sur qui compter, aux heures de solitude d’âme et d’hésitation. La destinée continuait à refuser une famille à cette tendre petite dont le grand cœur refoulé demeurait inutile.

Elle eut un jour des nouvelles de ses frères par l’intermédiaire du petit Fernet, qui les rencontrait souvent dans les dancings de nuit. Ils paraissaient toujours unis, vivaient sans profession, dépensant largement l’argent maternel en noces de toutes sortes.

Ayant rapporté la chose à son père, Élysée apprit de lui qu’il