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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/117

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LE PAIN BLANC

— Élise Arnaud ! Depuis le temps qu’on ne vous a vue !…

Le cri joyeux de la première demoiselle rencontrée lui fit mal encore.

Elle essaya de sourire. Elle embrassa gentiment.

— Croyez-vous que je puisse voir Mlle Levieux ?

— Oui, mais dépêchez-vous ! Elle ne pourra pas vous donner beaucoup de temps !

Elle courait dans les couloirs, la tête en avant. Son chapeau chavirait. Elle l’arracha. N’était-elle pas chez elle ?

— Vite, vite, dites à Mlle Levieux que c’est Élise Arnaud qui veut la voir.

La figure inconnue s’étonna. Mais, au bout d’un instant :

— Entrez !

Elle était là, debout, austère, tendant son visage macéré qui passionnait la jeunesse.

— Élise !

Mais le geste des bras tendus l’arrêta, retenant l’adolescente aux épaules.

— Oh !… Les cheveux coupés ?

Ironique, désapprobateur, le regard des yeux d’or continuait son inspection.

— Du rouge aux lèvres ?… Oh !… Oh !… Nous avons pris un genre !… Un genre !…

Toute la force qui jetait Élysée vers sa seule protectrice tomba brusquement. La jeune Arnaud n’avança même pas son front pour un baiser. Elle ne rougit pas, ne pâlit pas. Avec horreur, elle entendit sortir de ses propres lèvres l’intonation même de sa belle-mère, brève, presque cassante :

— Qu’est-ce que vous voulez, mademoiselle ! J’ai bientôt vingt ans ! Je ne suis plus un bébé !

— Asseyez-vous, mon enfant !… dit froidement Mlle Levieux en prenant place elle-même sur le canapé.

Et, pendant le court quart d’heure que dura la conversation, polies et distantes, elles se confrontèrent comme deux races ennemies.

— Vous vouliez revoir ces dames ?… demanda sur le seuil Mlle Levieux, après un glacial petit baiser.