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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/116

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LE PAIN BLANC

La petite grippe qui la tint au lit huit jours sauvait merveilleusement la situation, car le docteur Arnaud, en rentrant de son congrès, n’eut pas plus à s’étonner de la fièvre et du mutisme de sa fille que du visage bouleversé de sa femme.

Ô jours de détresse et d’abandon !

Une idée lui vint, un instinct plutôt. Elle profita de l’heure du déjeuner pour demander cela, car alors, son père étant présent, elle s’adressait à la cantonade sans être obligée de mettre ses yeux dans ceux du monstre.

— J’aimerais tant, murmura-t-elle, aller voir Mlle Levieux…

L’empressement des deux fut simultané. N’était-ce pas l’enfant gâtée à laquelle, souffrante, on n’avait rien à refuser ?

— Mais certainement, ma chérie !… Aujourd’hui, si tu veux !

Le docteur sorti, seule avec sa belle-mère dans la salle à manger, Élysée, au lieu de se sauver tout de suite en courant, comme elle le faisait chaque jour, s’attarda quelques secondes sur le seuil, et les yeux par terre, la tête lâchement détournée :

— Je voudrais bien… Je voudrais bien y aller toute seule…

— Mais tant que tu voudras !… s’écria l’autre, aimablement. Je te donnerai la femme de chambre. Ce n’est pas difficile, mon petit !

Un tremblement avait pris la grande gamine. Ce fut d’un pas lent qu’elle retourna dans sa chambre. Elle se sentait si misérable qu’elle s’allongea sur son lit un moment, et ferma les yeux pour se figurer qu’elle était morte.

Qu’allait-elle dire à Mlle Levieux ? L’auto roulait, la femme de chambre, respectueuse, n’ouvrait pas la bouche.

Ce fut si déchirant quand la voiture passa la grille qu’elle éprouva le besoin de s’écraser le cœur avec ses deux bras serrés, de toutes ses forces.