Aller au contenu

Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
LE PAIN BLANC

longtemps les bruits de la maison, attendant des éclats, des catastrophes. Le pas de sa belle-mère qui rentrait avait failli la faire s’évanouir. Mais celle-ci s’était dirigée vers sa chambre, et plus rien n’avait bougé pendant une demi-heure. Puis le va-et-vient des domestiques mettant le couvert… Tout à coup, Mme Arnaud donnant un ordre dans le vestibule. Puis, ô terreur !… le pas de papa se dirigeant vers le salon. « Les voilà ensemble !… » Le cœur arrêté, tendue tout entière, elle avait en vain guetté les voix. Rien.

Maintenant on allait annoncer le dîner. Il fallait se composer un visage, et bravement, aller les retrouver.

Ils étaient assis à leur place ordinaire, lui fumant un cigare, elle lisant son journal. Élysée, livide, vit son père aussi livide qu’elle-même. Il avait dit : « Il ne faut pas que mère le sache… » Mais, en jetant un coup d’œil, elle vit Octavie Arnaud tout aussi décomposée. Au courant de tout, donc. Ou, pour dire le mot exact, elle savait que son mari savait.

Cependant, avec un sourire magnifique de tranquillité :

— Tiens, voilà Élysée ! Tu vas bien, chérie ?…

La petite vit le frisson qui parcourut son père. Elle répondit d’une voix sans timbre :

— Très bien, merci, mère !

Mais elle n’eut pas le courage d’aller l’embrasser comme d’ordinaire. Et Mme Arnaud reprit la lecture de son journal.

Quel machiavélisme combinait-elle, pendant ce temps, bête prise au piège qui se tord pour échapper au filet ? Quelle preuve avait eue papa, pour être revenu dans un tel état de folie désespérée ? « Et toi, oh ! pauvre petite, si tu savais ce qu’ils te font ! » Il s’agissait donc, une fois encore, de Julien de Villevieille.

— Où veulent-ils en venir, se demanda-t-elle, avec leur silence tragique ?

Elle vint s’asseoir sur son petit tabouret, et regarda le feu de bois, allumé malgré le printemps.

— Ils attendent que les domestiques soient partis et que je sois couchée pour s’expliquer… J’ai compris. Quel courage il a, papa, de ne rien dire !… Pourvu qu’il ne la tue pas cette nuit !… Et elle ?… Elle doit bien se douter de ce qui l’attend !… Ah ! que tout ça finisse ! Que je parte avec mon père pour ce pays