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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/124

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LE PAIN BLANC

— Élise ! Ma chérie ! Ma petite fille à moi… Oh ! les misérables !… Tu aimes ton père, toi, dis…, Élise ! Quand tu recevras des lettres anonymes, ne les lis pas, ne va pas y voir !… Et toi ? Oh ! pauvre petite !… Si tu savais ce qu’ils te font !

La voix saccadée sombra brusquement. La bouche dans les cheveux de sa fille, le docteur Arnaud sanglotait.

C’était horrible. Des sanglots dans une voix d’homme, c’est horrible. Sa poitrine avait de telles secousses qu’Élysée en était bousculée. Elle ne comprenait pas encore. Elle devinait peut-être. Accrochée à son père qui s’accrochait à elle, elle sanglotait avec lui.

— Papa !… Papa !… Qu’est-ce qui t’est arrivé ? Qu’est-ce que tu as ?…

Ils ne pouvaient, enveloppés de cette pénombre, distinguer leurs traits. Cramponnés l’un à l’autre, ils avaient l’air de se noyer ensemble dans la nuit.

— Ma petite fille… Ma petite fille !… Tu m’aimes, dis ?… Tu m’aimes ?…

— Je t’adore, papa, je t’adore !…

Et, dans la voix désespérée de l’homme passa cette petite phrase plus déchirante que tous les cris :

— Tant mieux, alors ! Nous allons être bien heureux, tous les deux !

Une telle annonce de bonheur, dans l’ombre et parmi les hoquets d’un chagrin déchaîné, quelle belle promesse pour l’avenir !

Et, pourtant Élysée l’accepta, cette promesse. Quelque chose se déchirait, ce soir, une équivoque se terminait. Quoique se tordant les bras de douleur, la vie, enfin, allait rentrer dans l’ordre.

Tout à coup, arrachant de lui les mains de sa fille :

— Oh ! pardonne-moi ! Je ne sais pas ce que je dis ! Je suis fou !… Élise, Élise, oublie tout ça !… Mère va rentrer, oublie tout ça !… Il ne faut pas qu’elle sache !… Oublie tout ça !…

Essayant de se dégager, il reculait, hagard, se heurtant aux meubles, Élysée tendit les bras. Il était déjà sorti.

Ce fut en grelottant qu’elle entra dans le salon, sentant venue l’heure du dîner.

Assise à la place même de sa douce rêverie, elle avait écouté