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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/15

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LE PAIN BLANC

eux subitement muette, et si décomposée que même les garçons firent un pas vers elle.

— Voilà ce que je trouve sur son bureau… prononça-t-elle d’une voix blanche.

Max tourna le commutateur. En pleine lumière ils aperçurent la lettre qui tremblait dans les mains de leur mère.

Elle jeta sur les trois jeunes visages qui la fixaient un regard si humain, si proche, et qui demandait si désespérément du secours…

— Vous voyez ce qui est écrit sur l’enveloppe ?… Pour Marcelle… Qu’est-ce que cela veut dire ?

Quelques secondes de silence parfait passèrent. Puis la voix de gouape du plus grand :

— T’as qu’à ouvrir… Tu verras bien !

Ils crurent que jamais elle ne parviendrait à déchirer l’enveloppe. Dès les premières lignes, ses yeux chavirèrent.

— Asseyons-nous… fit-elle faiblement.

Et sur le matelas nu, dans le tohu-bohu de ce salon en préparation, sous la lumière crue tombée de haut, ils furent rassemblés tous trois, serrés les uns contre les autres autour de leur mère, comme des poussins grandis sous les ailes de la poule.

« Marcelle, tu vas trouver cette lettre, et moi je serai déjà loin. Rassure-toi tout de suite. Je ne suis pas parti pour me tuer, je ne suis pas non plus en compagnie d’une femme. Je suis parti tout seul, pour une destinée que tu n’as pas besoin de connaître encore, parti vers la paix, la liberté, le travail.

« Tu sais bien que j’ai toujours rêvé d’abandonner la clientèle pour ne plus m’occuper que de recherches de laboratoire. Mais j’avais une maisonnée à nourrir, je ne pouvais pas vous laisser dans la misère.

« À présent que te voilà riche, personne n’a plus besoin de moi, surtout toi pour qui ma présence est plus que mauvaise.

« Depuis dix-huit ans, ma pauvre chérie, j’ai tout essayé pour vivre heureux avec toi. Tu ne l’as pas voulu. Tu es une magnifique artiste, nous nous aimions bien, nous avions des enfants sains, je gagnais notre vie vaille que vaille, nous avions entre les mains les éléments d’un beau bonheur.