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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/33

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LE PAIN BLANC

Sans doute avait-il prévenu ses clients par quelque circulaire, puisque personne ne sonnait plus à l’heure de la consultation. Où donc était-il ?

Élysée pensait à lui tendrement, sans qu’aucune ombre de rancune effleurât son esprit d’enfant.

Elle fit lentement le tour de la pièce, avec un peu de crainte et une espèce de curiosité. Les bibliothèques montraient leurs livres serrés, nuances sobres des reliures où brillait un peu d’or. La petite ouvrit. Sa main hésitante prit au hasard.

C’était la première fois qu’elle faisait un geste vers les livres. Celui qu’elle tenait était lourd. Elle alla s’asseoir dans un fauteuil pour mieux le regarder. Il y avait quelques images.

Longtemps, perdue dans un songe vague, elle contempla la gravure de Bida qui illustre les Nuits, d’Alfred de Musset. Le poète, drapé de noir, assis sur son roc, la tête dans la main droite, sa lyre devant lui, sa Muse derrière lui, soutenant son bras gauche, et cette guirlande de fantômes féminins qui se perdent dans le ciel orageux, elle ne comprenait pas ce que signifiait tout cela ; mais, comme lorsque sa mère chantait, son cœur était atteint, troublé.

Jamais personne ne l’avait initiée aux mystères de la lecture. Lire, c’était apprendre des leçons, une corvée. Il ne lui venait donc pas l’idée de se renseigner sur la gravure en parcourant le texte. Elle avait vu des vers, par conséquent quelque chose d’aussi ennuyeux que les fables de La Fontaine.

Son imagination de dix ans aimait mieux inventer l’histoire, comme lorsqu’il s’agissait de la dame bleue. Elle voyait bien que le monsieur était désolé, que la sorte d’ange qui le tenait au bras le consolait ; et ce spectacle lui faisait du bien.

Elle eut de la peine à quitter cette image pour regarder les autres. Celle qui illustre le poème Lucie la captiva pourtant. Le clavier, la fenêtre ouverte sur la nuit, le même jeune homme tenant contre lui cette jeune fille en robe blanche qui semblait pleurer, c’était encore de la tristesse et de la tendresse, un domaine proche de son petit cœur affligé.

L’inscription, en dessous, disait :

Elle appuya sur moi sa tête appesantie.