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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/44

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LE PAIN BLANC

jusqu’au fond de l’âme ; un demi-sourire montra ses dents éclatantes.

— Cela vous a fait beaucoup de chagrin de quitter maman… dit-elle comme si elle devinait tout.

Et sa voix nuancée était si douce que la petite Élise se mit à sangloter.

Mlle Levieux la prit contre son épaule. Pendant le court instant que dura cela, l’enfant eut l’impression d’avoir enfin trouvé le refuge suprême de sa petite vie bousculée. Elle ferma les yeux, et ses larmes passaient, tièdes, entre ses longs cils trempés.

Embrassée sur les cheveux, puis redressée, elle laissa ses deux mains dans celles qui les tenaient si affectueusement.

— Pauvre petite !… murmura Mlle Levieux.

Ses yeux d’or, comme remplis par quelque immense peine cachée, lisaient le visage enfantin, à la fois apitoyés et autoritaires. Elle hocha lentement la tête, et continua :

— Il y a eu de bien tristes soucis chez vous… Le papa est parti… La maman est toute seule…

Comment savait-elle ? Est-ce par les agences secrètes…

— Ici nous tâcherons que vous soyez heureuse, mon enfant…

Pendant un moment, elle parla, bienveillante, consolante, penchée.

L’étroite robe noire remuait, serrée sur la poitrine, au rythme d’une respiration tranquille.

Elle était calme et plate, cette robe, comme une soutane. Élysée avait l’impression que cette femme était une espèce de prêtre. Comme elle devait bien confesser les enfants, quel pouvoir sur les jeunes esprits elle devait posséder !

Éperdument, la fillette désira pleurer de nouveau contre l’épaule qui venait de la bercer, écouter la voix qui la plaignait, sentir se concentrer là, s’affirmer toute la douleur de son enfance privée de soins et de caresses, rester des heures dans ce cabinet de travail où l’on était si bien.

Mais l’ineffable instant était passé déjà. Les douces mains abandonnèrent les petits doigts. Réservée, presque sèche, Mlle Levieux s’était levée.

— Allez, mon enfant ! Tâchez d’être une élève studieuse, et de prendre vite le courant de la maison. Au revoir !