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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/52

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LE PAIN BLANC

vaise mine… D’abord, c’est joliment bien, ici ! Avoue que je t’ai bien choisi ta boîte !

— Oh ! oui, maman !

— Tu as l’air fichtrement heureuse, par exemple !

Élysée sentit-elle un reproche dans ce mot ? Vit-elle une certaine lueur dans les yeux verdâtres ? À peine délivrée de sa terreur d’être ramenée (ayant vu tout de suite que sa mère n’avait nullement cette intention), une autre terreur pointait en elle. « Torturante et torturée ». Si maman la jugeait trop satisfaite, sa jalousie naturelle en prendrait ombrage…

Les tyrans font naître autour d’eux le mensonge, seule défense contre leur tyrannie.

— Ah ! maman !… Ce ne sont plus les vacances de la maison ! Si tu savais ce qu’on nous fait travailler, c’est épouvantable !

— Tant mieux ! triompha tout de suite Mme Arnaud. Ça te fait du bien ! Tu n’avais qu’à ne pas pleurnicher tout le temps ! Comme ça tu apprécies un peu plus ce que tu as perdu par ta faute !

— Oui, maman…

Elle baissait la tête, hypocrite, avec une envie de rire de joie. Assises toutes deux, face à face, la mère et la fille étaient séparées déjà par des abîmes.

— Et Jacques ?… Et Max ?… demanda la petite, pensant tout à coup à s’informer.

— Ne m’en parle pas, dit Mme Arnaud, parcourue de tics. J’ai été forcée de les remettre externes. Ils se seraient fait chasser du lycée.

Élysée n’enregistra même pas ce qu’il y avait de profondément injuste dans l’affaire. Ses frères revenus à la maison, pourquoi la laissait-on en pension, elle si douce et si soumise ?

— Ah ! Ils sont revenus ?… prononça-t-elle avec une parfaite indifférence.

À son tour, Mme Arnaud n’enregistra pas. Agitée, élevant la voix :

— Tu crois que c’est drôle pour moi ?… Des apaches qui font déjà la noce à l’âge qu’ils ont ! Ils passent leur vie à danser le tango argentin avec des cocottes. Ils ne sont pas pour rien les fils de leur père ! Je vais être obligée de leur louer un apparte-