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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/73

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LE PAIN BLANC

Elle s’approcha du piano, compagnon de la vie musicale, seule vie harmonieuse de la morte courroucée.

« C’est là-dessus que je jouais mes études de Czerny, pour tâcher de lui faire plaisir… »

Et tout à coup, abandonnée dans cet appartement où elle n’était plus qu’une étrangère, ce fut en elle un instinct péremptoire : retourner près de sa mère. Car ce cadavre dans la chambre à côté, c’était encore sa mère, malgré tout. Réfugiée près de sa dépouille, elle ne serait plus seule.

Juste à ce moment, la porte s’ouvrit. Respectueux, bien stylé, le valet de chambre entra sans bruit.

— Quand Mademoiselle voudra dîner, tout est prêt dans la salle à manger. Mademoiselle excusera ; ce n’est qu’un dîner froid, car on est tellement affolé…

Désemparée, elle suivit cet homme. Pendant qu’il la servait, correct et silencieux, elle eut envie de poser des questions, de savoir par lui quelque chose de la vie de Mme Arnaud pendant ces derniers temps. Mais elle se retint sans savoir pourquoi. Plongée dans sa tristesse affreuse, elle mangea mécaniquement. Autrefois, à dix ans, elle avait connu pareil isolement, assise à cette même table. Mais alors elle guettait le pas de sa mère, qui pouvait entrer d’un instant à l’autre. À présent, elle ne rentrerait pas. Elle était sortie pour toujours, sortie de la vie.

Une bougie neuve venait de remplacer l’autre sur la table de nuit. On leur met près d’eux cela, qui remue et vit, comme pour les empêcher d’être tout à fait morts.

Dans la chambre pleine de grandes ombres qui bougeaient selon la toute petite flamme, unique lumière, la seconde servante veillait à son tour, assise dans le fauteuil. Elle se leva quand Élysée entra.