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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/77

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LE PAIN BLANC

Mais elle ne réfléchit à rien du tout, car, subitement, comme la bonne, elle s’endormit.

Le petit jour filtrait par les rideaux serrés.

Étonnée d’avoir froid et d’être si courbaturée, elle ouvrit les yeux. « Quoi… Quoi !… Où suis-je ?… »

Et ce fut une grande honte. Au lieu de réfléchir, elle avait dormi. La bonne continuait à ronfler… La morte, pendant des heures, n’avait été veillée que par sa bougie fidèle, presque consumée, prête à s’éteindre.

Un sourire singulier s’était établi lentement sur ses traits décolorés. Son expression était énigmatique, prélude d’autres changements plus graves auxquels personne, plus tard, n’assisterait. Et l’odeur sournoise qui venait du lit annonçait le commencement d’un terrible au-delà physique.

Élysée, qui s’était levée, fit un grand pas de recul. Car les mortels, malgré la racine funèbre de ce mot, n’admettront jamais dans leurs maisons la présence insolite du cadavre, cet étranger d’une autre race.

Secouée à l’épaule, la servante, avec effort, se réveilla.

— Il faut une autre bougie… marmotta la petite Arnaud ; et je ne sais pas où on les met.

Un peu de va-et-vient dans la chambre y remit le mouvement de la vie. Il y avait quelque six heures que tout le monde y dormait, sommeil vivant et sommeil éternel.

À sept heures, la cuisinière vint remplacer l’autre fille. Élysée alla faire sa toilette dans n’importe quelle pièce, puis prendre le café au lait qui l’attendait dans la salle à manger. Ô grossièreté des appétits vivants, face à l’éthérée immobilité des morts !

Quand elle revint dans la chambre :

— Il faudra un crêpe à mademoiselle pour demain… dit tout bas la cuisinière. Faudra-t-il dire à la modiste de passer tantôt ?…