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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/76

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LE PAIN BLANC

On lui avait appris à faire « son examen de conscience ». Elle se rendit compte qu’elle s’égarait, faisant l’examen de conscience des autres.

— Et moi ? Est-ce que je n’ai pas, comme eux, pensé simplement à moi ? J’aurais pu, sans doute, me préoccuper un peu plus du malheur de maman, essayer de la consoler, lui écrire, lui faire sentir que j’étais là, tâcher de l’aimer.

Elle se retourna. La respiration de la bonne, lente et peu à peu bruyante, tournait au ronflement. Cette fille, dans son fauteuil, s’était endormie.

Élysée fut d’abord sur le point de la réveiller, par convenance. Puis elle sentit qu’elle allait être plus seule encore avec sa mère, pour lui parler, lui parler comme jamais elle n’avait pu le faire de son vivant.

Elle s’approcha, tout doux. C’était la première fois que sa mère était à elle, à elle seule.

— Écoute, maman… Je me souviens si bien de tout. Puisque je n’ai pas agi comme une fille affectueuse, je veux m’imposer une pénitence en mémoire de toi. Tu ne m’as jamais donné qu’un seul conseil : travailler la musique. C’est toi qui m’as appris mes notes, toi qui étais toi-même la musique incarnée. Je te promets, je te fais le serment que, dès que je serai rentrée au pensionnat, je me mettrai à la tâche, de toutes mes forces. Et tu sais si cela me coûtera. Comme ça je n’aurai pas perdu ce que tu as bien voulu me donner, maman, ton conseil, tes premières leçons. Et ce sera peut-être une toute petite réparation.

Un baiser peureux sur le front de marbre scella le pacte. Et, dès cet instant, l’adolescente eut le sentiment que sa mère était moins morte.

Elle reprit place dans son fauteuil. Comme lorsqu’elle cherchait le plan d’une composition française : « À présent, à quoi vais-je réfléchir ? »