Aller au contenu

Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
LE PAIN BLANC

pas ne pas obéir à Mlle Levieux, ce maître absolu de sa pensée.

Vaincue, elle baissa la tête. Mais ce fut d’une pauvre voix étranglée qu’elle articula, les yeux pleins de larmes :

— Alors… alors, il va falloir vous quitter, quitter la maison ?… Oh ! Mademoiselle, je crois que je ne pourrai pas !…

Son père vint lui-même la chercher, seul.

Depuis la nouvelle de son départ, Élysée était l’héroïne du pensionnat.

— Ma pauvre Élise ! Dieu sait ce qui vous attend ! Vous allez tomber dans un intérieur impossible ! La Montval est connue pour ses excentricités. Elle a plus de quarante ans, elle va être jalouse de vous ; elle vous martyrisera ! Qu’est-ce que vous allez devenir ? C’est affreux !…

Ce n’était ni sans envie ni sans admiration que les grandes tenaient en cachette ces propos terrifiants. Élysée se sentait redevenir le petit animal grelottant qu’elle avait été dans son enfance. Une parenthèse se refermait, temps lilial qu’elle ne retrouverait jamais plus. Écrasée par la fatalité, les yeux hagards, elle attendait le recommencement du malheur.

« Ah ! cette fois, je puis dire que j’ai mangé mon pain blanc ! Qu’est-ce que je vais devenir ?… Qu’est-ce qu’on va me faire ?… Pourquoi Mlle Levieux elle-même m’abandonne-t-elle, comme les autres ?… J’étais donc de trop, ici ?… »

Le cœur gonflé d’amertume, elle était, une fois de plus, la petite orpheline qu’on se repasse comme un chien perdu. Tristement, elle sentait se ruiner en elle tout un édifice de confiance et de tendresse.

Ce fut dans ce même salon, où, pour la dernière fois, elle avait revu sa mère.