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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/94

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LE PAIN BLANC

Encore un réveil en sursaut dans l’inconnu. Stupide, la mince dormeuse ne réalise pas. « Je n’ai pas entendu la cloche ! » Un bond l’assied sur son lit. « Qu’est-ce que c’est ?… Ah ! c’est vrai ! Que je suis bête ! je suis chez papa… »

Elle hésite, les yeux clignés dans le clair-obscur. Le jour est derrière les rideaux. Il n’est donc pas trop tôt pour sonner. Sa main trouve dans la ruelle le cordon électrique. Voici la femme de chambre de la veille. Rapide et muette, elle ouvre les rideaux, les volets. Voici la jolie chambre, voici la bibliothèque précieuse.

— Mademoiselle veut son déjeuner ?… Qu’est-ce que mademoiselle prend ?…

Comme c’est drôle de déjeuner dans son lit, quand on n’est pas malade ! La petite table de poupée, avec sa nappe, son service doré, la font sourire.

— On peut entrer, Élysée ?

La petite est devenue pourpre. Son regard obéissant cède tout de suite sous les étroits yeux bleus qui viennent à elle.

— Bonjour, ma petite fille ! Tu as bien dormi ?

Le tu est adopté. Cela produit un léger tressaillement dont la nature reste confuse. Élysée fait un petit effort pour ne pas rester trop distante.

— Oh ! très bien, mère

— Ça, c’est gentil, par exemple !

La belle marâtre se penche pour embrasser le front tendu. Pas de déshabillé, pas de cheveux dépeignés. Le petit tailleur correct, la chemisette de lingerie fine, la coiffure de nattes minces. Octavie Arnaud, à cette heure matinale, semble déjà sortir d’une boîte.

Familière, mais le dos bien droit, elle s’assied au bord du lit.

— Ton père est déjà parti pour son laboratoire. Il n’a pas voulu te réveiller pour te dire bonjour. Tu le verras au déjeuner.

Elle regarde complaisamment la belle gosse, lisse et brune parmi les blancheurs du lit.

— Tu en as de beaux cheveux ! Et dire que tu n’en tires pas parti !

Un regard vers la montre de son poignet.