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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/32

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— On n’sait point si l’bateau du Havre passera !

C’était dit du ton qui annonce les événements importants, un ton qui est très particulier au populaire de Honfleur, toujours en quête de quelque chose à propager, à commenter, à broder.

Faire un sort à tout, c’est le propre de la langue honfleuraise, mauvaise langue, moqueuse langue, mais vivante, vivante, et qui ne laisse rien tomber dans l’indifférence.

Ce n’est pas, non, l’exagération du Midi. Il ne s’agit pas de faire de l’effet. Il s’agit que ce soit plus beau ou plus corsé, C’est, en somme, un besoin de composition, un embryon de littérature. Je crois que toute la Normandie a cette tendance, ce qui explique qu’elle ait tant donné aux Lettres françaises.

Ludivine, le nez au vent, habituée, écoutait potiner, puis continuait à flâner le long du trottoir, allant n’importe où pourvu qu’elle respirât la ville, coutume invétérée.

Comme tous les habitants (du moins ceux du peuple), elle était, sans le savoir, curieuse, attentive par instinct à toutes les manifestations de cette humble cité du bout du monde, pleine d’une si singulière animation, au regard des autres trous de province qui moisissent désespérément autour de leur clocher.

J’y mets sans doute quelque merveilleux, à cause des souvenirs d’enfance, ce conte bleu. Cependant, toutes les sensibilités venues d’ailleurs ont senti comme moi ce que ma ville avait d’infiniment personnel, se sont étonnées de l’intensité de sa petite existence. Et sans toujours savoir pourquoi, ses habitants l’aiment d’un amour que je n’ai constaté nulle part aussi fort. On dirait que chacun d’eux, quelle que soit sa classe, porte dans l’âme la même marque que celle qu’on lit sur les voiles des barques : H. O. (Honfleur).

Causes de fermentation : le port, ouverture sur le large, lézarde par où pénètrent les hasards de la mer, le port, pêche et commerce, odeurs et puanteurs, éternel relent de voyages anciens aux îles,