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Page:Delbos - De Kant aux postkantiens, 1940.djvu/16

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1909, et surtout devant la conflagration de 1914, il eût tenu davantage à remonter aux origines métaphysiques d’une méthode et d’une conception dont il ne reniait pas la part de vérité qu’elle pouvait et devait servir à véhiculer, mais dont les abus et la perversion même avaient entrainé ce qu’il nommait une sophistication des âmes, une exaltation des forces inconscientes et brutales, un retour à une barbarie savante sous les apparences d’un idéalisme matérialisé et d’un mysticisme des instincts de proie, d’orgueil et de domination. Dès les premiers mois des hostilités, dès les premières manifestations des porte-parole de la science et de la pensée pangermanique, Delbos avait protesté contre cette prétention d’une culture amenée à se calomnier elle-même en méconnaissant le haut idéal dont elle s’était longtemps réclamée : « Nous savons maintenant ce que vaut l’idéologie allemande, m’écrivait-il en mai 1915 : si ce n’est pas elle qui a déchaîné la lutte effroyable, elle n’a eu ni autorité pour la prévenir, ni droiture morale pour la condamner, et elle a découvert sans peine tous les sophismes nécessaires pour l’absoudre. »

Combien il aurait trouvée justifiée la sévérité prophétique des craintes qu’il me confiait en l’été de 1914 lorsque, devant le manifeste des quatre-vingt-treize intellectuels allemands, empressés à excuser, à canoniser même l’agression et les plus brutales méthodes, il me confiait : « Il y a dans la pensée allemande, à partir de Kant même, quelque chose d’énorme, l’idée de la déduction qui se prépare et de la création qui s’opère dans et par l’inconscient ; sous prétexte d’idéalisme, une trahison de l’idée claire, de la raison lumineuse et classique. Je sentais cela depuis plusieurs années assez vivement… » Qu’eût-il dit aujour-